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L’individu face au temps libéré Vécu et gestion du temps par des retraités belges Hélène Eraly L’allongement de la durée de vie, la limitation d’âge de départ à la retraite et le nombre croissant de sorties anticipées du marché du travail ont dessiné un nouveau temps de l’existence. Alors qu’au début du siècle passé la retraite était synonyme de fin de vie active, elle s’apparente aujourd’hui davantage à une«seconde jeunesse» (Guillemard, 2002): les retraités ont désormais les moyens physiques et financiers de rester «actifs» plus longtemps (Crenner, 2006). Mais la définition de cette étape du parcours de vie n’en demeure pas moins floue: les individus se trouvent ballottés entre une volonté de se reposer, de prendre leur temps, des injonctions au bien-être, à l’épanouissement personnel, à la consommation, et des pressions à être actifs, à être utiles à la société et à leur famille, à ne pas peser sur la sécurité sociale. Pour faire face à cette libération du temps et à la redéfinition des contraintes sociales, tout le monde ne dispose pas des mêmes ressources et, par conséquent, ne vit pas de manière semblable la mise au repos forcée par le système institutionnel. Si, pour certains, la transition se fait en douceur, d’autres en revanche ont plus de mal à passer le cap. Car il n’est pas aisé d’abandonner les repères stables d’identification qui ont été acquis durant les nombreuses années de travail pour s’en recréer de nouveaux. Nous essayerons de comprendre comment l’identité est mise en jeu dans la transition travail-retraite à travers les trois dimensions identitaires fondamentales que le passage à la retraite met à l’épreuve: le statut et le rôle social, la reconnaissance et le rapport au temps et au vieillissement. Nous verrons comment ces aspects sont négociés par des individus qui ne disposent pas tous de ressources psychologiques, physiques, financières et culturelles identiques. L’hypothèse qui sous-tend cette réflexion est que la variable socio- économique conserve toute sa pertinence pour analyser les vécus différenciés de la retraite. Des personnes ayant des ressources et des modes de vie comparables ont des manières de vivre la retraite relativement proches. Ainsi, à la singularité 250 Temporalités sociales, temps prescrits, temps institutionnalisés des parcours individuels se substitue la similitude des expériences de la retraite façonnées par les «styles de vie1» (Giddens, 1991). Selon que le travail occupait une place centrale ou non dans la vie de l’individu, selon la valeur qu’il accorde aux activités culturelles, selon l’état de sa santé et de ses finances, la mise à la pension sera vécue plus ou moins avec difficultés et les stratégies d’adaptation seront différentes. Certains n’ont pas, en effet, les moyens financiers et culturels pour «profiter» de leur retraite. On peut également affirmer qu’avoir eu une vie de travail éreintante et arriver à la pension physiquement usé contraindra forcément la manière de vivre sa retraite. Ces implications, on s’en doute, ne seront pas les mêmes pour ceux qui, à l’inverse, ont toujours investi dans des loisirs parallèlement à leur vie de travail, qui choisissent de partir à la retraite, qui ont encore une bonne condition physique et un réseau social étendu. L’analyse suivante est basée sur une enquête qualitative qui sera explicit ée et suivie d’une brève description du système belge en matière de pensions. Les choix méthodologiques qui ont été opérés se fondent sur l’hypothèse que le passage à la retraite, si on l’envisage dans sa dimension identitaire, ne se fait pas brutalement du jour au lendemain. Il s’agit davantage d’un processus lent qui commence bien avant le jour du départ et se poursuit bien après (Caradec, 2008). Pour faciliter l’analyse, j’ai choisi de mettre en évidence trois moments clés de ce processus: la préparation de la retraite, le passage effectif et le quotidien de la retraite. Dans un premier temps, je montrerai l’importance de se préparer à la retraite d’un point de vue pratique, mais aussi mental, afin de répondre de manière progressive aux nombreuses interrogations – voire aux craintes – qui surviennent. Nous verrons ensuite comment le passage...

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