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CHAPITRE 2l Transcendance et immanence Le sens de l’humain Hugues Dionne«Je veux faire le point, m’arrêter, me retrouver…» Lors de la première séance de cours, une vingtaine de participants, assis en cercle dans la salle de classe, tentent de décrire en quelques mots les motifs de leur inscription au programme Sens et projet de vie. La plupart se disent au mitan de leur vie, en fin de carrière professionnelle ou au début de la retraite. À tour de rôle, chacun exprime avec beaucoup d’intensité et de générosité son désir profond de réexaminer le sens à donner à sa vie, «pour le temps qui me reste…», ajoutent certains. On sent un empressement à vivre plus intensément, une conscience du vieillissement et le désir d’une vie intérieure plus profonde.« Nous vivons dans une société dépourvue de sens », lancent spontanément certains participants. Du coup, le caractère tout intime de vouloir donner du sens à sa vie acquiert une portée plus sociale. La perte individuelle de sens s’accompagne d’un manque d’orientations communes et partagées au sein de la société moderne. Les certitudes d’hier n’existent plus. Les finalités de la vie se sont embrouillées. Chaque Sens et projet de vie 36 individu semble désormais responsable de se fabriquer une vie sensée. Si dans les sociétés prémodernes, la religion fournissait un sens commun à la vie, elle s’inscrit aujourd’hui dans la sphère intime, voire secrète, de la conscience individuelle. Ce transfert apparent de responsabilité quant à la définition du sens de la vie reflète un bouleversement culturel majeur de la société moderne. Se poser aujourd’hui la question du sens, c’est examiner la trajectoire de sa vie personnelle pour dégager la cohérence des chemins empruntés et la pertinence des directions futures à privilégier. Qu’une telle démarche se fasse de manière personnelle constitue un phéno­ mène relativement récent, né de la modernité. Elle rend compte d’un élan fondamental de l’être humain: se questionner sur «ce qui passe» et s’inscrire dans un mouvement vital de dépassement. Notre recherche d’identité se fait dans une quête infinie de croissance et de perfection dont les limites nous sont imposées par l’échéance de la mort, par un sentiment de finitude existentielle. Notre conscience du temps qui passe nous invite à accepter nos limites et nos imperfections, sans quoi notre travail humain d’exister peut sembler insensé devant la précarité et la relativité de la condition humaine. Vivre suppose en effet une nécessaire intelligibilité de notre parcours de vie pour mieux accepter ce paradoxe qui conduit parfois au constat de l’absurdité de la vie. Nous cherchons continuellement à nommer des transcendances et des immanences qui dépassent les apparences de vie et de mort. Contrairement à ce qui se passait dans les sociétés antérieures, le sens ne va plus de soi; il n’est plus socialement donné. Compte tenu du bouleversement actuel des religions, quelles figures de transcendance et d’immanence s’imposent dorénavant au sein de la société moderne? Chaque individu doit­il souscrire à un univers commun de sens pour fonder et nourrir son lien à l’autre? Le sens de l’hu­ main pourrait­il constituer une plateforme charnière de «dépassement» vital et de résistance à une société moderne qui dénie toute transcen­ dance au profit des seules perspectives instrumentales d’organisation et de production marchande? 1. LE DÉSENCHANTEMENT DU MONDE Toute la pensée philosophique et religieuse tente de répondre à cette immense question: pourquoi vit­on? Longtemps les réponses ont convergé vers un noyau symbolique et expressif d’un autre ordre du monde que [3.15.190.144] Project MUSE (2024-04-25 05:58 GMT) Transcendance et immanence 37 l’on disait divin. En cela, la religion et la philosophie se sont souvent rapprochées dans des positions et des parcours interdépendants pour prospecter diverses compréhensions de l’être et définir un parcours sensé du monde (Grondin, 2009). De tout temps, l’homme a voulu s’inscrire dans un univers rempli de sens, un monde que la modernité serait venue désenchanter (Gauchet, 1985; Bergeron, 2009). Il est vrai que dans les sociétés pré­modernes, la...

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