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12 CHAPITRE LE«GRANDPROJET» Une médiation institutionnelle de l’imaginaire BERNARD LAMIZET [18.216.190.167] Project MUSE (2024-04-16 04:52 GMT) Le « grand projet » 215 L’imaginaire d’une institution ou d’une personne s’exprime sous la forme d’un projet qui engage une temporalité, une spatialité et un rapport au réel. Un projet condense l’imaginaire d’un acteur social – singulier ou collectif – dans la réalisation d’une tâche ou dans la production d’un objet qui l’engage. En ce sens, un projet relève d’une sémiotique, puisqu’il articule un signifiant – le projet lui-même – et un signifié – l’identité de l’acteur qui le formule et le met en œuvre. Le projet est une pratique sociale qui vient, finalement, donner à l’imaginaire une légitimité, en l’articulant à l’expression d’une identité, et une crédibilité, en l’articulant à des réalisations et à une mise en œuvre. Le projet exprime l’imaginaire de l’institution, en l’articulant à l’expression de sa stratégie et en donnant ainsi à l’institution la dimension institutionnelle et politique d’un acteur et d’un engagement. C’est en s’exprimant pleinement sous la forme d’un imaginaire que les identités politiques deviennent des acteurs identifiables et pleinement présents dans l’espace public. Il convient donc de penser la signification du projet comme l’articulation des acteurs dans leur dimension singulière et collective et de l’institution dans sa dimension politique et dans sa visibilité spatiale. Dans cette dimension imaginaire, un «grand projet» se distingue des projets ordinaires en articulant une dimension politique et une dimension esthétique, dans le temps court et dans le temps long. Le «grand projet» n’est pas seulement l’expression d’un imaginaire dans l’ordinaire du temps de la sociabilité et du temps politique: il s’inscrit dans une temporalité qui échappe au temps quotidien en instituant une temporalité qui échappante au temps de la personne. Un «grand projet» ne met pas en mouvement le temps singulier, mais s’inscrit dans une médiation articulant une dimension singulière de la temporalité et une dimension collective. Le «grand projet» exprime l’idéal de l’institution en instaurant dans l’ordinaire quotidien du temps court une anticipation de l’état de l’institution dans l’avenir de son temps long. C’est, finalement, en s’exprimant sous la forme de grands projets que les pouvoirs passent de la temporalité ordinaire du politique à une temporalité du politique instituant une temporalité pérenne qui leur donne une présence effective dans l’espace politique. Le «grand projet» donne une consistance à ce que l’on peut désigner comme «imaginaire de l’institution», qui consiste dans l’expression d’une utopie (projection de l’institution dans le futur) et d’une stratégie politique (mise en œuvre d’un pouvoir). Ce que l’on désigne par «utopie», en particulier depuis l’invention de Thomas More, c’est, finalement, un projet qui n’a pas de place dans le temps et l’espace ordinaires du politique, et qui ne peut se concevoir que dans «un autre temps et un autre lieu» (Shakespeare, Richard III). Peut-être même faut-il aller plus loin: c’est en formulant un grand Communication et grands projets 216 projet qu’une institution acquiert pleinement le statut et la légitimité d’un pouvoir. La nécessité historique des «grands projets» est là: sans un projet qui l’exprime, une institution ne pourrait avoir la visibilité et la manifestation qui lui donnent une consistance pleine aux yeux de ceux à qui elle s’impose; sans un projet par lequel il exprime la signification de son engagement, un acteur politique et institutionnel ne pourrait manifester son existence et sa présence dans l’espace public et dans l’histoire. C’est par les projets qu’ils ont engagés et mis en œuvre que les acteurs politiques et les pouvoirs se sont toujours manifestés dans l’histoire, ne s’y exprimant pas seulement pour leurs contemporains, mais y laissant une trace de leur présence et de leur existence pour les autres temporalités. Par les «grands projets» qu’ils ont inscrits dans l’espace public, les pouvoirs et les acteurs politiques donnent à leur identité une pérennité qui va au-delà du temps ordinaire du politique et qui s’inscrit dans le temps de l’histoire...

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