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L’art kitsch Dramatisation et distraction du plaisir esthétique Dominique Sirois-Rouleau Université du Québec à Montréal Identifié autour du xixe siècle, le kitsch fait depuis l’objet de nombreuses entreprises de définition. Reconnu aujourd’hui pour sa combinaison réjouissante de stéréotypes universels de la médiocrité, le kitsch s’explique essentiellement par la cristallisation d’un plaisir personnel sur des objets dont la principale caractéristique est d’être inauthentique. Royaume de la copie et du relativisme esthétique, le kitsch se pose telle l’antithèse de l’art. Pourtant, depuis la reproduction mécanisée des arts visuels, le kitsch fait de toute évidence partie du monde de l’art, qui en aurait justement perdu son grand A1. À vrai dire, entre sa subversion esthétique et sa glorification de l’attitude critique postmoderne, l’art kitsch fait l’objet de débats vigoureux. Toutefois , au-delà de ces considérations sur l’impertinence d’un art kitsch se renouvelle un questionnement sur la fonction du plaisir dans l’expérience de l’art. 1. Valérie Arrault, L’empire du kitsch, Paris, Klincksieck, 2010, p. 12-13. 120 Les plaisirs et les jours Inopportun, sans être pleinement abject, l’art kitsch révise par son insignifiance la fonction idéologique du plaisir esthétique. En effet, l’art kitsch ne s’intéresse qu’à l’expérience personnelle du plaisir qu’il structure à partir du modèle appréciatif et fonctionnel de l’art. Ainsi, à rebours des usages artistiques traditionnels, l’art kitsch définit une expérience esthétique singulière et dérangeante qui, calquée sur la définition même du plaisir, en refuse néanmoins le sens et la valeur philosophique. LE MODÈLE KITSCH Briquet en forme de panthère, bibelot de la tour Eiffel, serviettes de table imprimées de la Joconde, calendrier illustré de chatons, porcelaine souvenir des chutes Niagara et ainsi de suite: la définition du kitsch s’apparente trop souvent à une vaste énumération d’objets répondant aux critères figurés du mouvement. Pourtant, le kitsch ne consiste pas en une forme exclusive, pas plus qu’il ne désigne des objets. Sociologue et chercheur en psychologie sociale, Abraham Moles2 le décrit plutôt comme un assemblage d’éléments dont la destination et l’esthétique sont entièrement définies par la personnalité de l’utilisateur. Plus près de l’usage que de la forme, la conception du kitsch repose en vérité sur la mise en œuvre de ce que Moles appelle le «libre arbitre esthétique3 », c’est-à-dire la cristallisation et la personnalisation de l’intérêt sur un sujet. Le kitsch est alors associé à un état d’esprit, voire un art de vivre, qui transcende les objets de telle manière qu’ils deviennent les supports de son attitude . En effet, l’attitude kitsch précède ses objets, elle s’imprègne des comportements propres à son époque et de la civilisation de laquelle elle émerge, puis les exalte en les fixant physiquement. En cela, le kitsch est toujours lié à une période et ses circonstances sont éminemment variables et temporelles. Au cœur de ce processus d’exemplification de l’attitude en une matière se précise par ailleurs la perception du kitsch. Comme l’a commenté Milan Kundera lors de son discours au prix de Jérusalem de 19854, l’attitude kitsch désigne le besoin de plaire au plus grand nombre. Par conséquent, les objets frappés de l’esprit kitsch sont le plus souvent perçus comme les symboles de la corruption et de la décadence de la civilisation qui les a vus naître. L’esprit kitsch matérialise donc une sorte de tension entre les usages stéréotypés et personnalisés de la culture et le refus de cette même culture de se voir incarner par ces objets. En fait, le principal enjeu de cette résistance réside dans l’inauthenticité de la 2. Voir Abraham Moles, Psychologie du kitsch. L’art du bonheur, Paris, Denoël-Gonthier, 1971. 3. Ibid., p. 181. 4. Voir Milan Kundera, «Discours de Jérusalem», dans L’art du roman, Paris, Gallimard, 1986. [3.134.104.173] Project MUSE (2024-04-19 13:51 GMT) L’art kitsch 121 valeur culturelle des objets kitsch en regard de l’impertinence...

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