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8 Une expérience d’enseignementalterné
- Presses de l'Université du Québec
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Une expérience d’enseignement alterné Le cas des instituts technologiques algériens 8 Hocine Khelfaoui L’Algérie a introduit au cours des années 1960 un « modèle » d’enseignement supérieur qui se voulait radicalement différent du «modèle» universitaire en place . Basé sur une alternance de cours intra-muros et de stages en milieu professionnel, il est destiné à fournir une main-d’œuvre«adaptée en qualité et en quantité» aux besoins des entreprises industrielles . Pensé comme un dépassement de la « dichotomie » enseignement général/enseignement professionnel, ce modèle se voulait pratique dans sa pédagogie, technique dans son contenu et organiquement lié au monde du travail industriel. Se réclamant des valeurs de l’entreprise, il devait représenter un contre-modèle pour l’université et fonctionner de manière tout à fait autonome du champ académique de manière générale . Ses promoteurs l’intégrèrent dans un ambitieux projet global puisqu’il devait, dans un premier temps, coexister avec le modèle universitaire et, dans un deuxième temps, parvenir à l’entraîner, grâce à son dynamisme et à ses liens exemplaires avec l’économie, dans la même démarche pédagogique et le même rapport aux entreprises. Les arguments invoqués pour justifier la création de ce modèle sont multiples, et portent sur des missions que l’université est explicitement accusée de ne pouvoir assumer: répondre aux besoins des entreprises en cadres techniques qualifiés, ouvrir l’enseignement supérieur aux élèves exclus de l’enseignement académique, contrer les méthodes d’enseignement en vigueur, jugées passives, théoriques et discursives, et favoriser la promotion des professions scientifiques et techniques, notamment les filières de génie. Cet enseignement, dispensé dans des établissements portant l’appellation générique d’instituts technologiques (IT), a mobilisé d’importantes ressources humaines, matérielles et financières, comme il s’est accompagné d’une campagne médiatique intense au cours de son 140 Chapitre 8 lancement et des premières années de son existence . Ses effectifs estudiantins n’ont cessé de croître jusqu’en 1986, atteignant à cette date 35% des étudiants inscrits dans les filières longues (5 années après le secondaire ) et 64% des étudiants inscrits dans les filières courtes (trois années après le secondaire). Devant être en tous points un contre-modèle, l’enseignement technologique va pourtant reproduire presque à l’identique, dans sa mise en œuvre pratique, les caractéristiques dénoncées dans l’enseignement académique. Malgré d’importantes barrières à l’entrée, tant juridiques que matérielles et financières (création par ordonnance, équipements de pointe, hauts salaires, bourses substantielles pour les étudiants, avec garantie d’emploi à la clé), l’enseignement technologique ne s’avère pas, sur le plan social, «assez autonome pour exclure l’importation d’armes non spécifiques1», ici éducatives et sociales. Ce qu’on observe dans les faits, c’est, au contraire, une invasion de l’enseignement technologique par un imaginaire éducatif largement sous l’emprise des normes et des valeurs de l’enseignement académique. Cette invasion, qui se termine par une sorte de phagocytose complète de l’enseignement technologique par l’enseignement académique, prend sa source dans une quête interne d’autonomisation de l’acte éducatif qui conduit les enseignants à prendre l’enseignement académique comme modèle de référence. C’est ce long processus d’autonomisation que ce chapitre tente d’expliquer, 1) en situant les IT dans leur contexte sociohistorique, pour en comprendre tant l’origine que l’évolution; 2) en mettant en évidence leurs interactions avec les champs éducatif, social et politique; 3) en examinant les effets de ces interactions sur la dynamique interne qui les anime . Au croisement des champs éducatif, économique et politique La création des IT est marquée par les caractéristiques particulières des champs politique, économique et éducatif, par le type d’interactions qu’ils entretiennent, et par leur mode d’insertion dans l’espace social de façon générale. Il est utile de rappeler qu’au lendemain de l’indépendance , le système éducatif (précolonial) avait disparu sans avoir été véritablement remplacé. L’université coloniale était, tant par ses programmes que par son public (très majoritairement européen), pour l’essentiel au service de la colonisation2...