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C H A P I T R E 2 dIre La non-maternIté ou pourquoI Votre amIe sans enfant est muette Lucie Joubert Université d’Ottawa La maternité – les enfants, les petits-enfants – a été de tout temps un sujet de conversation de prédilection pour les femmes. Cette «intarissable parole des mères et sur les mères», comme le dit Chantal Thomas (2000, p. 85), est somme toute inévitable, dans la mesure où ce sont les femmes qui vivent les grossesses, ont à décider ensuite de retourner ou non au travail ou, si elles ne peuvent se permettre le luxe du choix, doivent composer avec une nouvelle existence qui sera nécessairement plus compliquée à gérer, même en tenant compte de l’implication nouvelle des conjoints dans l’intendance du quotidien. La logorrhée maternelle trouve aussi un exutoire parfait dans le discours social actuel qui sollicite, valorise, monte en épingle et répand cette parole des mères (et des pères) avec une complaisance que j’ai déjà signalée ailleurs (2010), laissant très peu de place à un discours non pas opposé mais différent, qui s’inscrirait simplement dans une marge discrète: une réflexion sur la non-maternité. Mais dans une société qui signifie clairement aux femmes que la maternité est redevenue la garantie sine qua non de l’épanouissement féminin, que pourrait avancer une non-mère qui ne serait pas perçu inéluctablement comme une vaine entreprise d’autojustification? Que vaut la parole d’une non-mère? Cette femme a-t-elle même voix à ce chapitre? Ces questions méritent d’être posées, car les femmes qui disent non à la 20 Regards critiques sur la maternité dans divers contextes sociaux maternité, déjà peu nombreuses, le sont encore moins à dire la nonmaternit é. Les nullipares sont en effet, par rapport à leur choix, une minorité très silencieuse: elles n’ont rien à raconter et, pour cause, pas de photos à montrer, de dates à citer (Sautière, 2008, p. 52). Surtout, elles ne cherchent pas à convaincre qui que ce soit de la pertinence de leur choix (Thomas, 2000, p. 85), parce qu’elles ont déjà souvent été en butte à l’incompréhension de leur entourage ou qu’elles pressentent que leur histoire va automatiquement créer un malaise. Cette résistance à la parole nulliparturiente1 ne date pas d’hier. Simone de Beauvoir l’a largement éprouvée et son ouvrage Le deuxième sexe, abondamment commenté au fil des anniversaires soulignant sa parution, continue de créer des vagues, surtout à cause du chapitre sur la maternité. Alors qu’on lui reconnaît de valables projections en ce qui concerne ses idées sur la psychanalyse et l’histoire des femmes, entre autres, on conspue allègrement le portrait qu’elle a osé tracer de la mère; et cette résistance vient, en grande partie, du fait qu’elle n’a eu pas d’enfant elle-même. Au lieu de lire ce chapitre comme une analyse d’un des aspects de la condition féminine, on a préféré induire que Beauvoir, dans ces pages, se livrait à une charge contre la maternité pour mieux exalter son choix personnel. En effet, Toril Moi, citée par Rodgers, relève à quel point la critique de l’époque, hostile en très grande majorité, ramène «la discussion de l’œuvre à une discussion sur la femme. Cette réduction, accompagnée de dénigrement envers une femme accusée de n’être point féminine – surtout dans son refus de la maternité –, permet aux [détracteurs] de ne pas prendre les idées de Beauvoir au sérieux» (Moi, 1990, citée dans Rodgers, 1998, p. 16). Si la France a réagi aussi vivement, explique Lecarme-Tabone, c’est en partie parce qu’elle vivait une période marquée par le pronatalisme et que le lectorat était peu réceptif à une contestation de ses valeurs par une philosophe elle-même sans enfant: la maternité étant sacrée, on a sursauté devant le terme de «pondeuses» (Beauvoir, 1949, p. 178) accolé aux mères ou au mot polype pour évoquer le fœtus (p. 159) et condamné la femme aussi bien que l’auteure. C’est peut-être aussi que, derrière la démonstration rigoureuse de la philosophe, on sent les choix personnels de la femme. Mais, sans doute, la pol...

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