In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

Chapitre 2 Le récit de vie, l’identité narrative et l’ethos public dans le contexte de la Nouvelle gestion publique et de la modernité radicale1 Isabelle Fortier Depuis les années 1980, les administrations publiques ont été sujettes, d’abord dans les pays anglo-saxons et ensuite dans la plupart des pays de l’OCDE, à une vague de réformes inspirées du néolibéralisme. Le managérialisme2 qui y prend source a donné lieu au Nouveau management public (NMP) qui propose un changement radical de culture pour le secteur public, inspiré par les pratiques managériales du secteur privé et les mécanismes de marché comme modes derégulation et d’innovation managérielle. Partant d’une culture traditionnelle de nature essentiellement juridique, fondée sur le respect des procédures, la loyauté hiérarchique et la primauté des enjeux d’équité, les organisations publiques sont réorientées vers une culture entrepreneuriale, axée sur le leadership , la prise de risque et l’orientation sur les résultats, la concurrence et l’appât du gain étant conçus comme des sources d’innovations managérielles (Denhardt et Denhardt, 2000). En rompant avec la tradition du service public, tout en appelant au maintien des valeurs démocratiques, la modernisation impose aux gestionnaires publics des injonctions paradoxales (Pollitt, 2003 ; Hood et Peters, 2004) dans lesquelles leur autonomie accrue est compensée par l’importance de l’imputabilité qui met à mal la dimension démocratique de 1. Cette recherche a été financée par le Fonds québécois de recherche société et culture (FQRSC). 2. Pour une description détaillée de ces courants de pensée et de réforme, voir Fortier (2010). 32 Transformations de la modernité et pratiques (auto)biographiques l’institution. Entre rupture et continuité, la construction identitaire des gestionnaires publics est mise en tension par ces discours et pratiques de réforme et ouvre tant sur des espaces de résistance que d’adaptation. Comme nous l’avons souligné ailleurs (Fortier, 2010), les discours et les pratiques de réforme de l’État ne sont jamais qu’un simple exercice d’amélioration des façons de faire mesuré à l’aune des impératifs d’économie, d’efficacité et d’efficience (Rouillard et al., 2008). Au contraire, les transformations du fonctionnement interne de l’État influencent sa capacité et son autonomie et ont donc un impact critique sur ses relations avec la société civile et sur la gouvernance démocratique (Suleiman, 2003). En fait, on semble sous-estimer l’importance de l’institutionnalisation des valeurs, en plus d’éluder la question de la définition de l’intérêt public et du bien commun (Chanlat, 2003). L’originalité de notre approche en administration publique est de considérer l’ethos public, non pas en termes de motivations individuelles préexistantes ou d’un système de valeurs prescrites comme le font la plupart des écrits à ce sujet, mais comme une construction et une pratique sociale faisant partie des activités structurantes des gestionnaires. Cet ethos participe de la construction réflexive d’une identité et d’un style professionnels (Gilormini, 2009) forgés dans une temporalité longue et fruit de leur compréhension de la complexité des enjeux collectifs, organisationnels et politiques de l’environnement dans lequel ils évoluent. Envisageant sérieusement l’idée que les organisations publiques ne soient pas que des fournisseurs de services en quête d’efficience, mais le lieu de la concrétisation d’un type de relations sociales qu’une société souhaite se donner (Hoggett, 2005), nous avançons dans ce texte la nécessité de ce questionnement sur la spécificité de l’action publique et de la contribution d’une compréhension de l’ethos public en tant que dynamique sociale ancrée dans une visée de gouvernance démocratique. Avant d’exposer les résultats de notre recherche sur l’ethos public des gestionnaires et les enjeux d’un travail sur soi lié à l’exercice de leur rôle, nous présenterons le nouveau management public dans le contexte de la modernité radicale. Cette mise en contexte nous servira ensuite à clarifier l’apport des trajectoires biographiques et du travail sur soi pour la compréhension du social. Enfin, l’œuvre de Ricœur sera centrale pour articuler la posture épistémologique , politique et éthique de ce travail sur soi, pour soi, pour les autres et dans...

Share