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Chapitre 6. L’histoire de vie collective, une chaîne d’humanité
- Presses de l'Université du Québec
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Chapitre 6 L’histoire de vie collective, une chaîne d’humanité Marijo Coulon Je reviens au mot humanité. Un mot qui en vaut six milliards. – Hélène CIXOUS1 Un livre écrit par les acteurs eux-mêmes : c’est l’objet – au sens premier du terme– qui concrétise l’histoire de vie collective sur laquelle s’appuie ce propos. Nous appelons ici « histoire de vie collective » le récit choral d’une expérience vécue au cœur d’un village ou d’un quartier et qui s’inscrit dans la durée. Des habitants témoignent – le plus souvent oralement – et ceux qui recueillent ces témoignages forment un groupe dont l’objectif est de transformer les paroles individuelles en écriture d’un livre collectif. Cette écriture se réfère le plus fidèlement possible aux propos recueillis. Les finalités de cette approche sont clairement de transformation sociale à travers une démarche d’éducation populaire, déclinée au long de cet article. Ce dont je parle, c’est de l’expérience d’accompagnement de quelques actions, soit en implication directe, soit dans l’accompagnement de l’accompagnatrice , dit aussi supervision. Je note que ce sont surtout les femmes qui sont impliquées dans la coordination de ces actions. Le « nous » que j’emploierai souvent reflète avant tout les différentes formes d’une implication sans laquelle je ne pourrais écrire ce qui suit. 1. « Volées d’humanité », texte inédit dans Rêver croire penser autour d’Hélène Cixous, de Bruno Clément, Paris Campagne Première, 2010. 84 Transformations de la modernité et pratiques (auto)biographiques Ces histoires de vie collective interrogent en particulier les champs de l’ethnosociologie, de la psychologie sociale et de la littérature. À partir de ces actions, je m’attarderai sur leur positionnement dans nos sociétés dites hypermodernes et sur la place particulière que prend l’écriture puisque le livre est la production visée. 1. L’histoire de vie collective s’écrit L’histoire de vie collective est protéiforme. Chaque nouvelle expérience nous le démontre et pourrait enrichir la typologie que nous avions avancée, il y a 10ans. Cette typologie nous était apparue utile pour y voir plus clair dans ce vaste champ. Nous écrivions alors : Si l’on doit établir une sorte de fiche d’identité d’une histoire de vie collective , il est essentiel de repérer le type de collectivité envisagée, le produit (au sens large du terme), les «artisans» qui la mettent en œuvre, c’est-à-dire les initiateurs, le type de temporalité, longue ou courte, les types de travail de fabrication avec les méthodologies subséquentes, enfin les niveaux de diffusion ou d’audience (Coulon et Le Grand, 2000, p. 137). Les histoires de vie auxquelles il sera fait référence ont d’abord en commun de s’inscrire dans les démarches d’éducation populaire, voire de les revendiquer. Nous retiendrons, pour exemples, celles qui maintiennent un lien étroit entre témoignage et écriture. Non parce que cette forme serait plus pertinente mais parce que c’est elle que nous accompagnons depuis des années, voire plusieurs décennies et qu’elle produit des effets spécifiques qui concernent l’éducation populaire, donc la vie commune. 2. Une action humaniste L’éducation populaire aussi est protéiforme. Celle dont nous parlons n’est pas un label. Elle n’est pas, pour le peuple, l’éducation descendante, comme on le dit de la communication. Il s’agit de « prendre ses distances avec le mythe d’une culture à démocratiser vers ceux qui en manqueraient, pour une culture à construire avec ceux déjà riches de savoirs sociaux » (Lepage, 2003). C’est un ensemble de pratiques qui sont en phase avec des valeurs revendiqu ées : justice sociale, éveil de la pensée critique, émancipation individuelle et collective. En histoire de vie collective, la justice sociale passe par l’accès à la parole, à la connaissance et à la culture. La conscience critique se nourrit de l’analyse, de l’interprétation de l’histoire, et l’émancipation se vit dans le fait de créer de la culture commune, de s’octroyer le droit d’écrire un livre. Cette présentation lapidaire n’enclot pas le sujet mais cherche seulement à situer précis ément les enjeux. Paulo Freire analyse avec sévérité l’action humanitaire qu’il distingue...