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Les temporalités et la performance dans l’entreprise Le cas des cadres-professionnels Jens Thoemmes Ces dernières décennies, entre inquiétudes et remises en question, le travail des cadres est devenu un véritable sujet de discussion en France. Du simple cadre aux cadres supérieurs et dirigeants, en passant par les ingénieurs et autres techniciens, une multitude de catégories socioprofessionnelles portent cette appellation. En réalité, une certaine position dans la grille salariale d’une entreprise ou d’une administration publique octroie à l’individu le statut de cadre, quelle que soit sa fonction ou son activité réelle. Au Québec, la situation des professionnels et des gestionnaires est comparable à celle des cadres français, en termes de qualification, de salaires et de statut. Mais aucune appellation ne fait référence à cette «position particulière», réunissant ce type de «salariés qualifiés» dans un groupe commun. Notre article voudrait dès lors apporter un éclairage sur cette catégorie sociale en France, sur les performances et difficultés de ceux qui en font partie, notamment en matière de temporalités sociales. 1. OBJECTIFS ET MÉTHODES Avant d’aborder les difficultés que les cadres français rencontrent dans leur activité professionnelle, nous voudrions brièvement revenir sur les objectifs et méthodes de notre recherche. Rappelons notamment que la loi sur les 35 heures en France a défini trois types de cadres bien différents. À la fin des années 1990, les lois Aubry ont distingué les cadres selon la manière dont on mesure leur temps de travail. La première catégorie de cadres, dite «sans forfait», correspond à une population de professionnels dont le temps de travail n’est pas formellement comptabilisé. La deuxième catégorie, dite «au forfait jours», doit comptabiliser un nombre de journées de travail effectuées annuellement. Enfin, la troisième catégorie de cadres, dite «au forfait heures», dispose d’une mesure du temps de travail similaire à celle des non-cadres. En effet, l’ensemble 130 Performance organisationnelle et temps sociaux des heures travaillées est comptabilisé pour cette catégorie. Cette mise au point législative importante, consacrée par les lois Aubry en 2002, a-t-elle modifié la perception que les cadres ont de leurs temporalités et de leur travail? Qu’en est-il 10 ans après les lois sur les 35 heures? Dans ce contexte, notre recherche s’est également orientée vers la question du bien-être au travail des cadres. Nous nous sommes interrogé sur celui-ci à partir des discours que ces professionnels tiennent sur leur activité. Il s’agissait pour nous d’analyser la gestion de leurs temps sociaux, et en particulier le temps de travail, en interrogeant sa mesure, son contrôle, et les pratiques. Cette analyse permet d’une part d’analyser une caractéristique fondamentale du statut de cadre, à savoir son pouvoir de gestion des temporalités, et d’autre part, de situer sur un plan plus général l’activité et l’implication des cadres dans leurs vies professionnelle et privée. Notre hypoth èse porte sur le bien-être des cadres comme une réalité complexe, jouant sur l’engagement au travail et les performances professionnelles. 1.1. Vers un temps incontrôlable des cadres en entreprise? Les « 30 glorieuses » ont fait des cadres en France une catégorie d’élite économique, peu touchée par les difficultés professionnelles. Mais depuis les 30 dernières années, cette image d’une catégorie sociale «à l’abri des soucis de l’emploi» a bien changé. Nos recherches nous poussent à remettre en question le bien-être au travail des cadres en France, au regard de l’évolution de leurs temporalités et conditions de travail. Pour commencer, abordons brièvement le périmètre de la population à laquelle nous nous sommes intéressés (Thoemmes, Kanzari et Escarboutel, 2010 et 2011)1 . Que regroupe la catégorie des cadres en France? Les cadres sont présents dans toutes les entreprises et administrations, et sous des formes très variées: des techniciens aux cadres dirigeants, en passant par différents niveaux intermédiaires. De qui s’agit-il? D’un groupe social (Boltanski, 1982), d’une catégorie d’employés hétérogène (Groux, 1983). Le terme désigne un ensemble d’individus ayant des caractéristiques communes. Selon l’Institut national de...

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