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Chapitre 1. La flèche du temps et le système, ou comment analyser la résilience d’un territoire
- Presses de l'Université du Québec
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Chapitre 1 La flèche du temps et le système, ou comment analyser la résilience d’un territoire Christine Liefooghe Pourrait-on apprendre à espérer des moments meilleurs si on ne les avait pas perdus? Boris CYRULNIK, De chair et d’âme, Paris, Odile Jacob, 2006, p. 160. Espérer le retour de moments meilleurs, acquérir les comportements qui permettront de reconstruire un présent et de rebondir dans l’adversité pour créer les conditions d’un futur désirable: voilà quelques caractéristiques de la résilience des individus, concept popularisé en France par le neuropsychiatre Boris Cyrulnik (2004, 2006). Comment passer de la résilience des individus à la résilience des territoires? Transposer un concept d’un domaine de recherche à un autre est scientifiquement critiquable. Sauf peut-être à assumer le principe de l’analogie et de la métaphore (Sénécal, 2008). En fait, les travaux d’économie régionale et de géographie se réfèrent plutôt aux sciences physiques et à l’écologie quand ils transposent le concept de résilience au développement régional et urbain (Aschan-Leygonie, 2000 ; Polèse, 2010; Simmie et Martin, 2010). Nous nous proposons d’élargir ces emprunts aux approches de B. Cyrulnik, dans la mesure où les 22 Mondialisation et résilience des territoires analyses de la dynamique des territoires insistent sur le rôle de l’histoire et surtout sur celui des acteurs dans l’évolution des systèmes spatiaux, institutionnels et territoriaux. On peut aussi s’interroger sur l’intérêt porté au concept de résilience, après des décennies de travaux sur le progrès, la croissance et le développement. Les théories que l’Occident a portées depuis au moins la Seconde Guerre mondiale sont-elles à ce point obsolètes face aux incertitudes liées à la mondialisation et au «chacun pour soi et sauve qui peut» des territoires mis en situation de concurrence exacerbée? La mondialisation est souvent perçue comme un choc qui a déstabilisé l’ordre national et l’équilibre international mis en place après la Seconde Guerre mondiale. Face aux crises, énergétiques, monétaires ou autres, les gouvernements et les populations ont souvent espéré un retour à l’équilibre antérieur, un retour à «l’âge d’or» pour ainsi dire. Or la mondialisation, qui est moins un choc qu’un stress à répétition (pour rester dans l’analogie psychologique ou écologique), fait basculer les systèmes économiques , politiques, territoriaux dans un équilibre instable en perpétuel mouvement. C’est précisément ce type de changement que nos sociétés n’ont pas ou plus l’habitude de gérer. La question sous-jacente des études sur la résilience ne serait-elle alors pas de trouver un nouveau modèle d’adaptation, d’évolution, de nouvelles règles du jeu? Notre prétention n’est pas, dans le cadre de ce chapitre, de proposer un modèle mais de poser quelques jalons, en comparant les approches en termes de résilience, de dynamique des systèmes, de jeux d’acteurs. Quelle est la part entre ces jeux d’acteurs, les forces qui s’imposent (ici la mondialisation) et l’inertie du système hérité (le poids de l’histoire et des structures)? Nous testerons ensuite ces pistes en relisant la dynamique économique et spatiale de la région française du Nord-Pas-de-Calais. La problématique de la frontière, de l’ouverture, de la dépendance aux conditions internationales est une permanence de l’histoire de cette région du nord de la France, bordée par la GrandeBretagne et la Belgique. En quoi la mondialisation change-t-elle la donne? La problématique de la révolution (industrielle), de la crise, de la (re)conversion, de la mutation est aussi une constante de ce territoire. Quel éclairage nouveau la notion de résilience apporte-t-elle à l’étude des changements de l’économie et du système territorial du Nord-Pas-de-Calais? 1. Le concept de résilience s’applique-t-il au territoire? L’intérêt récent pour la résilience des territoires a émergé, selon Simmie et Martin (2010), de l’analyse des politiques qui se sont développées pour répondre à la multiplication des changements, économiques, technologiques, géopolitiques, environnementaux, dans un monde devenu de ce fait très incertain. Incertitude...