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Chapitre 15 Le conflit des imaginaires du périurbain Jean-Jacques Wunenburger Autant la centralité de la ville a bénéficié d’une florissante valorisation dans les rêveries poétiques et littéraires ou dans les mythifications historiques , autant la périphérie (bourgs, faubourgs, alentours, banlieues, citésdortoirs , etc.) semble la laissée-pour-compte de l’imaginaire des espaces urbains. Tout au plus semble-t-elle, à première vue, être entraînée dans les imaginaires sombres, maudits, diaboliques de la ville, qui se sont développ és depuis l’explosion urbaine du xixe siècle, sur le vieux continent européen surtout1. Territoires agrégés sans ordre ni plan, au fil des aléas 1. Sur la poétique des villes maudites, matrices de l’imaginaire négatif des périph éries, voir Ellul (2003). 316 L’imaginaire géographique de l’histoire sociale et économique, échappant souvent aux normes et aux cadastres, germes de violence et d’anomie, ils relèvent de l’extrémité, de la marge, de la limite, de l’excédent, de l’extrême, que l’on se résigne à tolérer ou que l’on appose comme appendice à la vraie ville, ville noble, dotée des attributs symboliques et fonctionnels. À l’heure où la part de ces territoires va s’accroissant géométriquement dans le monde, agissant comme des métastases périurbaines des grandes métropoles2, il importe de revenir sur les représentations, images, schèmes, récits et argumentations disponibles pour nourrir les vécus, les jugements de sens commun, les évaluations esthétiques, les expertises techniques, les programmes urbanistiques, puis les projets politiques de développement de ces lieux incertains. Non seulement il existe un imaginaire latent pour prendre en charge ces territoires, mais il se révèle multiple et pluriel, à vrai dire hétérogène, dissonant, voire conflictuel. Le statut et le devenir de ces zones périurbaines ne dépendent donc pas seulement de prises en charge et de traitements rationnels, mais aussi de ces imaginaires erratiques qui se cristallisent, se dynamisent pour orienter et rendre consistantes des manières de parler et de penser. Or quels sont ces imaginaires du périurbain? Comment opèrent-ils? Quels sont leurs effets et leurs valeurs? L’imaginaire mystifié des excentrés Toute vraie ville – souvent patrimonialisée de nos jours en ville «ancienne» ou «historique», de préférence classée par l’UNESCO – change soit par la restructuration de son centre, notamment à la suite d’une destruction volontaire ou involontaire – occupation ennemie, catastrophe naturelle, etc. –, soit par l’adjonction périphérique de nouvelles constructions, de nouveaux quartiers – territoires résidentiels, commerciaux, de loisirs –, voire même depuis peu par celle de nouvelles petites villes attenantes. Nés généralement d’initiatives individuelles, spontanées et incoordonnées, et donc de choix résidentiels ou de travail plus ou moins aveugles, ces territoires urbains d’agrégation naissent d’abord dans les rêves des individus et non dans les programmes urbains calculés. Si les scénarios qui 2. Il est difficile de comparer les bidonvilles du Caire, les cités-dortoirs des villes ex-soviétiques, les villes juxtaposées de Sao Paulo, les quartiers concentriques de Pékin, si ce n’est qu’ils forment une ceinture extra muros, autour de la ville. Il existe aussi un périurbain intra muros, par exemple dans les parcs de Berlin ou dans les favelas en plein cœur de Rio de Janeiro. [18.218.169.50] Project MUSE (2024-04-25 09:20 GMT) Le conflit des imaginaires du périurbain 317 les attestent sont multiples, deux émergent plus particulièrement de l’histoire urbaine récente: l’un dans le registre des aspirations écologistes des citadins désenchantés, l’autre dans celui des espérances de survie pour les ruraux émigrés démunis. Dans le premier cas, s’installer pour le citadin dans ces zones relève certes d’un calcul économique, le futur résident fuyant les prix prohibitifs de la ville, en acceptant parfois de sacrifier nombre de services urbains. Mais la logique économique n’explique pas tout. Les bords de la ville suscitent aussi une attirance, à la mesure de la saturation de l’espace des centres-villes. Le citadin réinvestit ainsi les quartiers résidentiels, dont les zones pavillonnaires où l’on peut accéder à la propriété d...

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