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Chapitre 11 Pratiques et imaginaires urbains La ville, ses représentations et ses espaces de représentation Suzanne Paquet L’analyse des actions réciproques entre les trois catégories, ou les trois facettes, qui composent la notion de production de l’espace selon Henri Lefebvre permet de porter un regard particulier sur les imaginaires et les utopies urbaines, et ce, dans une perspective intermédiale. Les représentations et les pratiques sont fortement liées dans la théorie de Lefebvre, pour qui les représentations de l’espace, parce qu’elles s’insèrent en les modifiant dans les textures spatiales, ont «une portée considérable et une influence spécifique dans la production de l’espace» (Lefebvre, 2000, p. 52). Peut-être faudrait-il même considérer la possibilité que les représentations conditionnent ou façonnent directement les imaginaires, que celles-là préc èdent systématiquement ceux-ci, car une même famille étymologique 238 L’imaginaire géographique recouvre la représentation, soit l’image elle-même – figurée, celle dont je me contenterai ici, oubliant les textes et les récits – et la faculté de former des images mentales, c’est-à-dire un imaginaire. Or, comment forme-t-on des images mentales si ce n’est à partir de ce que l’on connaît déjà? Dans les pages qui suivent, nous tenterons en un premier temps de voir comment les représentations de l’espace agissent sur l’imaginaire géographique, et plus spécialement de distinguer comment cet imaginaire , dont les images constituent le fondement ou le motif sont à la fois conséquentes et composantes d’une mobilité qui est elle-même partie prenante des pratiques spatiales, de sorte que les images, leurs modes de transmission et le déplacement des corps forment un nœud de relations (Méchoulan, 2003) quasi inextricable. De là, nous verrons comment une certaine forme de représentation, assimilée au modèle des mobiles immuables proposé par Latour (2006) et liée à une certaine temporalité photographique et aux pratiques spatiales actuelles, devient la condition première d’un mode stéréotypé de production de l’espace. Finalement, la troisième composante de la production de l’espace selon Lefebvre, ce qu’il nomme les «espaces de représentation», sera considérée comme pouvant composer un mode alternatif de constitution d’imaginaires urbains porteurs d’utopies, c’est-à-dire de manières de montrer des possibles. Représentations et imaginaires Examinons d’abord l’«action» des représentations de l’espace, supposant qu’un imaginaire géographique fortement façonné par les images apparaît au milieu du xixe siècle, moment où se noue un lien appelé à devenir indissoluble entre photographie et communication, ce dernier terme ayant l’avantage d’englober tout aussi bien les moyens de transport traditionnels que les modes de transmission plus récents. De ce couplage image et communication, on pourrait dire qu’il est un hybride, mot emprunté à McLuhan qui, lorsqu’il le proposa en 1964, ne pouvait guère en soupçonner toutes les implications futures et toutes les déclinaisons possibles, dont certaines seront ici examinées. McLuhan, dans son texte «La photographie, le bordel imaginaire », raconte que la revue Vogue, en 1953, annonçait l’arrivée d’un «nouvel hybride né du croisement entre la photographie et l’avion» (1992, p. 305). McLuhan, curieusement, semble alors ignorer que cet hybride, cette alliance photographie et véhicule, existe déjà depuis les années 1840, moment où la photographie prit le train – ou le bateau – pour la première fois. Cet hybride qui agrège une photographie et son véhicule, une image et son moyen de transport ou de transmission, prendra en effet [3.137.192.3] Project MUSE (2024-04-23 16:07 GMT) Pratiques et imaginaires urbains 239 au fil du temps différentes formes, pour devenir de plus en plus incontournable dans nos sociétés. Dès 1841, soit deux ans après que la France a rendu public le procédé de Daguerre, Lerebours commercialisait ses Excursions daguerriennes. Les vues et monuments les plus remarquables du globe (1841-1844). Le chroniqueur De Cormenin affirmera un peu plus tard, à propos d’une semblable collection, que «la gloire de ce siècle si fécond en découvertes» aura été «d’avoir abrégé pour l’homme la distance et le temps». La photographie, ajoute-t...

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