L'imaginaire géographique: Perspectives, pratiques et devenirs

Chapitre 5 – Le quartier chinois de Québec, une appellation abusive ?

Chapitre 5 Le quartier chinois de Québec, une appellation abusive? Martine Freedman Parmi les communautés ethniques qui ont façonné la ville de Québec, il y a notamment la communauté chinoise. Or, depuis quelques années, les médias relatent divers projets de réhabilitation de cette présence, qu’il s’agisse de la reconstruction de l’ancien quartier chinois, de l’aménagement d’un jardin à la chinoise sous les bretelles de l’autoroute Dufferin ou, encore, de la mise en valeur de la maison qui abritait le siège de l’association des Chinois de Québec. Pour intéressants que soient ces projets, il reste que l’appellation de quartier chinois repose sur une pure construction imaginaire, la ville de Québec n’ayant jamais connu de quartier ethnique à proprement parler. Dès lors, il nous apparaît pertinent de nous interroger sur le sens de ces projets. 98 L’imaginaire géographique À cette fin, nous tracerons tout d’abord à grands traits l’histoire de la présence chinoise à Québec, débattrons de l’appellation quartier chinois dans le cas de l’arrondissement Saint-Roch où il aurait été situé, puis présenterons ces projets de réhabilitation. Une fois brossé ce portrait, nous relèverons les éléments qui amènent leurs promoteurs à valoriser cette appellation de quartier ethnique. Enfin, nous montrerons en quoi l’idée même de quartier chinois à Québec repose d’abord et avant tout sur des représentations, représentations qui émanent soit de souvenirs parfois déformés, soit de discours rapportés par différents médias. Ces projets n’étaient pas aboutis au moment des entretiens qui constituent le principal matériau de cette réflexion. Néanmoins, les lignes qui suivent mettront en évidence le fait qu’ils sont déjà porteurs de sens pour les habitants du quartier , illustrant ainsi tout le poids structurant de nos imaginaires géographiques. Repères historiques L’arrivée des premiers Chinois se situe à la fin du xixe siècle, principalement dans les quartiers centraux de Québec (Ville de Québec, 1999). Selon les différentes sources consultées (Archives de la Ville de Québec, recensements , listes des membres de l’association des Chinois de Québec, etc.), les deux premiers Chinois arrivèrent à Québec en 1891 et on comptait dans la capitale 770 personnes d’origine chinoise en 2001. Les Chinois vivant à Québec ont ainsi représenté de 0,003% à 0,15% de la population totale de la ville. Il est toutefois important de souligner que, parmi la population immigrante vivant à Québec, la proportion de Chinois était fort appréciable en 1963, puisqu’ils constituaient 21% de ses immigrants (Ville de Québec, 1998). Cependant, quelles que soient les imprécisions et les variations venant des différentes sources, on n’observe pas de concentration de population chinoise. Ainsi, sur le plan statistique, il n’a jamais existé comme tel de quartier chinois à Québec. Pourtant, tous semblent s’entendre pour situer ce quartier au cœur du quartier Saint-Roch (figure 5.1). D’après les recensements, on comptait 28 Chinois à Québec en 1901. Les premiers Chinois travaillaient dans des buanderies (on en comptait une trentaine en 1902) (Annuaire Marcotte, 1902; Entente sur le développement culturel de Québec, 1999). Peu à peu, ces buanderies déclinèrent et les Chinois ouvrirent des commerces et des restaurants principalement situés dans le quartier Saint-Roch (Annuaire Marcotte, 1951; Bulletin de Le quartier chinois de Québec, une appellation abusive? 99 l’Association des Chinois de Québec de 1952; Lortie, 1974). Progressivement , la communauté chinoise s’élargit, atteignant 465 membres en 1971 (recensement de 1971) (800 même1, selon d’autres sources). Les données recueillies grâce aux archives de l’Association des Chinois de Québec­ montrent des effectifs plus élevés2. Et c’est au cours des années 1950 à 1970 que cette communauté fut le plus active à Québec, si ce n’est le plus visible. 1. L’historien québécois Réjean Lemoine soutient que 800 Chinois vivaient alors à Saint-Roch. Un entretien avec un ancien membre de l’Association des Chinois de Québec interviewé lors de notre enquête a apporté un éclairage sur cette estimation. Lorsqu’il nous a montré la liste des membres...