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Chapitre VI De la norme linguistique à l’enseignement de la langue Introduction Les philosophes comme Bergson ou encore Husserl montrent que l’individu en vient toujours à se donner, à s’imposer des normes – justifiées ou non – et que l’objectivation et l’honnêteté intellectuelle imposent des règles de contrôle ainsi qu’une mise en garde contre les illusions inhérentes à l’observation. Dans ce chapitre, on tentera de donner un statut à la norme et à la norme linguistique en particulier, en s’interrogeant sur la possible influence de l’adulte éduquant sur les modes de pensée sociolinguistiques des enfants auxquels il s’adresse. Si la langue module la vision du monde, l’utilisation d’une certaine norme peut-elle orienter le regard de l’élève sur le monde qui l’entoure? Si la langue est un consensus social, on peut se demander comment l’enfant peut y adhérer si ses modèles quotidiens bafouent les lois sociales que sont les codes de la route ou autres différentes obligations «civiques». Est-il raisonnable de demander à un enfant de respecter les lois linguistiques quand, autour de lui, les adultes ne respectent pas toujours la loi commune à tous? Les questions ne manquent pas qui interrogent sur la nature de la langue à enseigner et sur les implications que ces choix peuvent entraîner… 1. Le concept de norme La norme est, entre autres, un concept sociologique. Tout individu, vivant en société, doit observer les règles et les usages et se conformer à «la norme», qui peut être considérée comme une entreprise sociale. La civilité que les enfants sont censés rencontrer dans le cadre scolaire est le respect d’une ritualité sociopolitique. Au contraire, l’incivilité révèle la réduction, voire la mort des rites civiques. Comme bien des termes, le mot «norme» est polysémique. [132] Contribution de la linguistique à l’enseignement du français Le dictionnaire Le Grand Robert en donne les deux définitions suivantes: ~ Type concret ou formule abstraite de ce qui doit être. Cette première définition renvoie à la notion de «modèle», à partir duquel est établie la qualité de la langue. C’est l’art du «bien dire». ~ État habituel, conforme à la majorité des cas. Cette seconde définition fait référence à ce qui est observé dans la réalité, indépendamment des jugements de valeur de«la bonne langue» ou de «la mauvaise langue». C’est à cette double réalité que l’individu est systématiquement confronté. La norme se présente-t-elle comme un modèle ou est-ce plutôt le reflet de la réalité qui nous entoure, du monde tel que l’individu l’observe? Si l’on considère comme Changeux que «La notion de normativité constitue […] un développement de celle de l’évaluation», on s’aperçoit que les critères de l’évaluation – et par là même de la norme – sont des deux obédiences: cette évaluation se fera-t-elle à partir de ce qui«doit» être ou à partir de ce qui est «d’usage»? Même si cette interrogation trouvait une réponse, d’autres surgiraient aussitôt; en effet, qui décide de ce que doit être la norme, ou quel est l’usage de référence? La notion de norme peut également trouver une réponse chez les philosophes, puisque, s’il est fait mention de Kant, la tâche est ardue! En effet, ce penseur préconise : «Agis de telle façon que ton action puisse être considérée comme une loi universelle1 .» 1.1 La norme comme «loi du nombre» Dans la vie de tous les jours, et quel que soit le domaine auquel on s’intéresse, l’attitude normative se caractérise par des jugements de valeur posés sur les faits de société. On aura alors tendance à parler «d’écart» par rapport à l’usage reconnu comme un «idéal» par un groupe d’individus. Les différentes attitudes (linguistiques ou non) seront dès lors perçues comme des instruments de communication, des lieux de manifestation de la différence d’un groupe, de son identité et de la solidarit é de ses membres. Un exemple remarquable est celui de l’habillement2 . La norme – qui se pose ici comme modèle – présuppose une certaine organisation sociale. Elle devient alors un instrument d’unification sociale aussi bien sur le plan professionnel que sur le...

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