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4 Quelques principes de la solidarité conjugale Étude sur l’économie domestique de trois générations de couples • • • Caroline Henchoz 76 Aimer et compter? La solidarité conjugale a rarement été étudiée en tant que telle par les sociologues. Elle a surtout été abordée indirectement par les recherches sur la répartition des responsabilités et des ressources et celles sur la conciliation entre famille et travail (Dandurand, 1996, p.  152). Une autre façon de l’appréhender a été d’en souligner les limites en mettant en évidence les relations de pouvoir et les inégalités au sein du couple. Il semble pourtant central d’étudier la solidarité conjugale en tant que telle, car cette notion permet de mieux comprendre les modes de régulation des échanges conjugaux. Considérer le couple comme «un lieu particulier d’échanges parmi tous ceux que l’individu tisse avec la société» (Kellerhals et al., 1982, p.  27), soit «un espace de règles de fonctionnement relatives à la production de “biens” (monétaires, affectifs, de services), à leur dévolution au groupe ou à l’individu et aux principes d’équité qui régissent leur partage» (Kellerhals et al., 1982, p.  26) permet, en effet, de considérer la solidarité comme un système de régulation organisant le déroulement des échanges conjugaux. L’analyse de l’économie domestique de trois générations de couples de Suisse romande permet de distinguer quatre principes au fondement de la solidarité conjugale. Ces principes sont des constructions culturelles, des représentations sociales de ce que peut être la relation conjugale, de ce qu’on estime devoir à son partenaire ou attendre de sa part. Rattachés à l’idéal du couple compagnonnage, à la désinstitutionnalisation et à la privatisation de la famille1, ils se retrouvent dans les trois générations interrogées. Par contre, selon les générations, ces principes sont différemment mis en pratique, car les conjoints adaptent leurs échanges financiers à l’évolution du contexte social dans lequel ils vivent et aux ressources qu’ils ont à ­ disposition. La solidarité conjugale Étymologiquement, le mot solidarité vient de «solidus» qui en latin désigne le solide, l’entier, le consistant. Chez les Romains du monde antique, ce terme qualifiait le lien unissant les débiteurs d’une dette, chacun étant responsable pour le tout (Duvignaud, 1986). On retrouve la notion de la primauté du tout sur les parties dans le Code civil suisse où le devoir, pour les époux, d’assurer d’un commun accord la prospérité de l’union conjugale domine tout le droit du mariage (Bron, 2005, p.  14). Du point de 1. Privatisation qui conduit les conjoints à définir les formes de leurs échanges dans les limites des modèles culturels à disposition (Kellerhals et al., 1982, p.  45). [3.15.221.136] Project MUSE (2024-04-19 22:14 GMT) Quelques principes de la solidarité conjugale 77 vue juridique, chaque époux doit faire passer le bien de la communauté avant ses intérêts personnels et s’entendre avec son partenaire sur les questions qui concernent l’union maritale. Dans le cadre législatif, la solidarité conjugale désigne les rapports qui ont lieu durant le mariage et au-delà, comme l’obligation alimentaire ou la solidarit é dans les dettes après la rupture. Les conjoints sont, en effet, tenus de supporter ensemble les conséquences de la répartition des tâches qu’ils ont convenue durant le mariage (Bron, 2005, p.  118). Pour Irène Théry, sociologue du droit, ces liens de famille ne relèveraient toutefois pas de la solidarité, car les régimes matrimoniaux impliquent des droits et des devoirs entre époux qui «n’ont pas besoin du détour de la solidarité pour être institués, et ceci, parce qu’ils font partie de la définition même des liens statutaires de l’alliance et de la filiation» (Théry, 2007, p.  152). Considérant les différentes configurations familiales contemporaines, Théry propose de distinguer les aides, transferts et services selon deux pôles: ceux qui relèvent quasi automatiquement du lien statutaire (droits et devoirs définissant les statuts familiaux) et ceux qui sont «éminemment volontaires ou contraint[e]s par l’absence de statut» (ibid., p.  165) qu’elle classe du côté de la solidarité. En d’autres termes, pour Théry, la «solidarité au sens strict» (ibid., p.  164) se réfère à une «aide...

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