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C H A P I T R E 8 LA RADIO PÍO XII Jésus-Christ rencontre Che Guevara Guy Bois Université du Québec à Montréal 156 Communication internationale et communication interculturelle 15 janvier 1975. À Siglo XX, le centre minier de la Bolivie, la tension est dense. Les mineurs occupent les mines, bardés de dynamite, défiant ouvertement le gouvernement du dictateur Hugo Banzer Suarez, installé au pouvoir depuis 1971 à la suite d’un coup d’État. Le généralissime aime la méthode forte: il interdit tous les partis politiques, emprisonne les dissidents et son anticommunisme virulent lui vaut, en pleine guerre froide, un appui inconditionnel des États-Unis. Au plan continental, Banzer Suarez est un acteur majeur de l’Opération Condor1 qui traque les opposants politiques d’un pays à l’autre. Il est aussi l’initiateur d’un autre plan, qui porte son nom (le Plan Banzer2), visant à réduire au silence – au sens propre comme au sens figuré – les prêtres « trop » engagés en politique. En cette journée du 15 janvier 1975, à 4 heures du matin, le père Gustave Pelletier est réveillé par un vacarme provenant de la Radio Pío XII, propriété des Oblats3, une radio financée en bonne partie par des fidèles du Québec. Je descends l’escalier. Devant moi y’a trois mitrailleuses. Y’engage la mitrailleuse. Grikkkk grikkk: ça, c’est un bruit qui m’a resté dans la mémoire. Les mains en l’air. On était prisonniers finalement […] Y’ avaient de 12 à 15 mineurs avec moi [dans la cellule]. Pis là, c’est venu comme un éclair: Y’é ici le Christ. Ç’a été l’heure de ma conversion dans ma vie. Lui [le Christ], ils l’ont pris, pis l’ont crucifié. Y’était toujours avec les pauvres (Gustave Pelletier, le 8 décembre 2008)4. L’expérience vécue par le père Pelletier – une reconversion sur fond politique – a été partagée pratiquement par l’ensemble des prêtres engagés à la Radio Pío XII. Le père Roberto Durette qui occupe encore aujourd’hui la direction de la radio, presque 50 ans après son arrivée en Bolivie, a lui aussi subi une «évangélisation inversée»: «Gavés de concepts théologiques tout aussi abstraits les uns que les autres, nous 1. Voir Abramovici, Pierre (2001). «Opération Condor, Cauchemar de l’Amérique latine: retour sur un terrorisme d’État béni par les États-Unis», Le Monde diplomatique, Paris, mai, p. 24-25. 2. Ibid. 3. Les pères Oblats de Marie-Immaculée, en latin Oblati Mariae Immaculatae (abrégé OMI), est un ordre religieux de l’Église catholique fondé en France le 25 janvier 1816 par St-Eugène de Mazenod. Cet ordre a été reconnu par le Vatican en 1826. En 1997, les Oblats comptaient 3 616 prêtres, 584 frères et 560 scolastiques. Ces religieux ont été très présents au Québec, en particulier auprès des Innus de la Côte-Nord. Ils sont arrivés à Siglo XX en 1952. 4. Ce chapitre est le résumé d’un mémoire de maîtrise réalisé par l’auteur et déposé en mars 2010. Il reprend ici les témoignages de quatre prêtres qui ont travaillé à la Radio Pío XII. [3.147.103.8] Project MUSE (2024-04-19 19:49 GMT) Chapitre 8 v La Radio Pío XII 157 sommes partis pour évangéliser nos frères quechuas et aymaras de Bolivie. Finalement, ce sont eux, à travers leur misère et leur combat, qui nous ont évangélisés5.» Mentionnons que Siglo XX – justement là où les curés oblats décident d’installer la Radio Pío XII en 1959 – est alors dirigé par le puissant syndicat des mineurs, l’avant-garde qui avait pris la tête sept ans plus tôt, lors de la révolution bolivienne, révolution qui avait mené, entre autres, à la nationalisation des mines de même qu’à une vaste réforme agraire, une des premières en Amérique latine. «Siglo XX, en particulier, était alors reconnu – et l’est encore aujourd’hui – comme le nid de l’agitation communiste dans le pays6.» Pourtant, le 1er mai 1959, lorsque la Radio Pío XII émet ses premiers signaux, elle choisit son camp: celui de l’anticommunisme.«C’était...

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