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C h apitr e 15 Le travail social raconté par les intervenants innus d’Uashat mak Mani-Utenam Christiane Guay À l’aube du xxie siècle, concevoir et penser le renouvellement des pratiques du travail social dans un monde qui se veut pluriel nécessite de revoir nos manières de faire. Cela exige, notamment, de porter une attention particulière aux groupes que la profession a, volontairement ou non, contribué à marginaliser ou à opprimer. Cela nécessite aussi de reconnaître des savoirs qui renvoient à d’autres visions du monde. À cet égard, le travail social en milieu autochtone fait actuellement l’objet d’une profonde remise en question. Il est indéniable que l’action des travailleurs sociaux, notamment dans le cadre des régimes de protection de la jeunesse, a eu, et continue d’avoir des effets négatifs sur les peuples autochtones1. Les taux de placement en famille d’accueil et d’adoption sont beaucoup plus élevés chez les peuples autochtones que dans la population canadienne en général. Certains auteurs s’inquiètent même du fait qu’il y aurait actuellement trois fois plus de jeunes autochtones sous la supervision des 1. Lorsque nous employons le mot autochtone dans le cadre du présent document, nous nous référons aux groupes d’autochtones connus sous le nom de Premières Nations, ce qui exclut les Inuits et les Métis. Précisons, toutefois, que notre recherche de terrain porte sur les Innus de la Côte-Nord, une nation autochtone de l’Est du Québec. 340 Le travail social autorités de la protection de la jeunesse qu’il y a eu d’élèves dans les pensionnats au plus fort de leur fonctionnement dans les années 1940 (Blackstock, Trocmé et Bennett, 2004). La profession cherche aujourd’hui à renverser la vapeur. Il semble de plus en plus évident que cela exige la reconnaissance de l’autonomie des peuples autochtones dans la gestion de leurs services sociaux. Or, ce mouvement suscite un intérêt grandissant pour les pratiques de travail social par et pour les Autochtones. Les Autochtones eux-mêmes souhaitent développer des pratiques qui répondent à leurs besoins et qui soient ancrées dans leur culture, alors que les non-Autochtones cherchent à comprendre la spécificité des pratiques autochtones, ne serait-ce que pour justifier la reconnaissance de leur autonomie. 15.1. Le savoir autochtone Dans ce contexte, on a assisté depuis quelques années à l’apparition de tout un champ de connaissances liées au savoir autochtone2. Plusieurs auteurs tentent de mettre en évidence le fait que l’identité professionnelle, la base de connaissances, les réalités politiques et sociales ainsi que les contextes de pratique au sein des communautés autochtones possèdent un caractère distinct. La principale contribution vient de travailleurs sociaux autochtones qui proposent une base théorique et de véritables approches autochtones du travail social fondées principalement sur leur savoir et leur vision du monde (Nabigon et Mawhiney, 1996; Hart, 2002; Turner, 1996). En parallèle, certains manuels de base en travail social ont intégré ces approches, contribuant ainsi à démystifier celles-ci auprès des non-Autochtones et à démarginaliser cette pratique du travail social au sein de la profession (Heinonen et Spearman, 2001; Van de Sande, ­ Beauvolsk et Renault, 2002). Même si ces démarches sont tout à fait légitimes, ce courant de pensée a plutôt tendance à opposer le savoir autochtone au savoir occidental qui sous-tend généralement l’exercice de la profession (Guay, 2009). De plus, il tend à masquer une réalité bien plus complexe et occulte la capacité des intervenants sociaux autochtones sur le terrain d’innover en matière d’intervention. Pourtant, ceux-ci sont des acteurs de premier plan 2. Il convient de faire deux remarques terminologiques quant à l’emploi de l’expression savoir autochtone. Premièrement, nous évitons d’utiliser l’adjectif traditionnel pour qualifier le savoir autochtone. En effet, il connote une vision passéiste et figée du savoir autochtone, occultant ainsi son caractère dynamique. Deuxièmement, l’emploi du singulier ne vise qu’à alléger le texte; nous reconnaissons néanmoins la pluralité du savoir autochtone, spécifique à chaque communauté autochtone, et qui peut, au sein même d’une communauté, faire l’objet d’interprétations ­ divergentes. [13.58.82.79] Project MUSE (2024-04-19 01:46 GMT) Le travail...

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