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CHAPITRE 5 L L’ÉDUCATION AU JUGEMENT Matthew Lipman Montclair State College On croit généralement que l’habileté à juger relève de principes ou de la pratique du jugement1 . Les jugements de principe sont guidés par des standards, des critères et des raisons. Enseigner aux élèves à poser de tels jugements demande qu’on fasse porter leurs efforts sur l’apprentissage des principes qui gouvernent leurs jugements. Les jugements pratiques, quant à eux, sont le produit de l’expérience, et on s’attend à ce que les élèves améliorent petit à petit leur habileté à juger par la pratique du jugement. 1. Ce texte est la traduction partielle d’un chapitre intitulé «The Strenghtening of Judgment» du récent ouvrage de l’auteur, Thinking in Education, New York, Cambridge University Press, 1991. 72 La formation du jugement Ces deux approches convergent sur le même objectif. Dans le domaine théorique, l’accent est mis sur l’acquisition des principes, alors que dans le domaine pratique (celui des artisans, des créateurs et des artistes), il est mis sur la pratique; enfin, dans le domaine professionnel ou technologique, l’accent est mis tout autant sur les principes que sur la pratique. Évidemment, les deux approches sont nécessaires. La question qui se pose – et ici j’ai surtout à l’esprit la formation du jugement en éducation – est celle de savoir si ces deux approches sont suffisantes. Avant de traiter en détail cette question, il faut répondre à quelques interrogations préalables. Plusieurs éducateurs nous demandent, en effet: «Pourquoi parlez-vous tout le temps du jugement? Le jugement n’est en aucune façon une responsabilité de l’éducation. Il ne l’a jamais été. Les enfants fréquentent l’école pour apprendre, pour acquérir de la connaissance. Qu’ils utilisent cette connaissance correctement ou incorrectement , ça les regarde. Nous reconnaissons que nous négligeons l’enseignement du raisonnement. Mais nous n’avons pas à nous en excuser. De toute façon, on ne nous a pas montré à le faire, et il est douteux que quelqu’un y parvienne un jour.» Même s’ils rouspètent un peu, les parents acceptent ce point de vue. Conscients de la pauvreté de jugement de leurs enfants, ils risquent de s’en accuser eux-mêmes au lieu d’en accuser l’école. Les enfants sont-ils impulsifs, distraits, irréfléchis et malveillants entre eux? Les parents se font dire que ces faiblesses morales sont des défauts de caractère qui relèvent davantage de l’éducation familiale. Même si les parents acceptent la responsabilité qui leur est conférée, ils exigent la coopération de l’école. Qu’on le veuille ou non, l’école s’est substituée, à de multiples égards, aux parents. Le développement du jugement est donc une tâche qui incombe autant aux parents qu’à l’école. Certains parents pensent que le développement du jugement chez l’enfant peut se faire en lui inculquant fermement un code strict de valeurs traditionnelles. D’autres ajoutent: «Sans doute, mais le nœud de la question est le jugement, et c’est sur ce point que nous devons faire porter l’essentiel de nos efforts. Nos jeunes doivent apprendre à distinguer ce qui est authentique de ce qui ne l’est pas; ce qui est profond de ce qui est superficiel; ce qui est justifié de ce qui est injustifié. Ils doivent apprendre que dans le monde où ils vivent, la bonté n’est pas souvent de mise, de sorte que la violence envers l’innocent et le faible est considérée à contrecœur comme injustice et que les victimes sont régulièrement [3.140.186.241] Project MUSE (2024-04-25 01:49 GMT) L’éducation au jugement 73 accusées d’être les auteurs de leur propre malheur. Si l’école enseignait à nos jeunes l’exercice d’un meilleur jugement, elle les protégerait contre ceux qui veulent les convertir à leurs préjugés et les manipuler en les endoctrinant. Nos jeunes seraient alors de meilleurs travailleurs, de meilleurs consommateurs et de meilleurs citoyens et ils seraient susceptibles de devenir de meilleurs parents. Pourquoi l’éducation ne devrait-elle pas viser un meilleur jugement?» Cette question paraît à plusieurs aussi vaine que celle posée par le professeur Henry Higgins: «Pourquoi une femme ne peut-elle être davantage comme un homme?» Mais le problème de l’enfant...

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