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3 Pour une écologie de l’habiter Un lieu habité par la même personne pendant une certaine durée en dessine un portrait ressemblant, à partir des objets (présents ou absents) et des usages qu’ils supposent. Michel de Certeau, Luce Giard et Pierre Mayol, p. 2061. 1. Dans Michel de Certeau, Luce Giard et Pierre Mayol, L’invention du quotidien, vol. 2, Habiter, cuisiner, Paris, Gallimard, 1994 [1980]. HABITER L’ARMÉNIE AU QUÉBEC 78 L es espaces privés sont révélateurs, au-delà des mots, des pratiques et des modes d’existence. Ils sont également les écrins d’une culture matérielle que l’on cherche à ausculter et à comprendre. Avec le postulat que la maison est un espace de mise en scène identitaire, on doit envisager une analyse qui prend en considération sa double nature, celle de message et de contexte d’énonciation2. De la sorte, l’écologie – du grec oikos pour maison et logie pour économie – des intérieurs domestiques3 prend appui à la fois sur le cadre quotidien des rituels domestiques, support de la relation aux objets, et sur le décor, produit d’une modalité d’expression. Caractériser les lieux de vie quotidienne dans lesquels évoluent les informateurs – soit un total de dix appartements et de huit maisons – revient à définir le lien que les individus entretiennent avec leur logement. Dans cette perspective, il faut d’abord chercher à saisir les diverses perceptions du rôle de l’habitat qui conditionnent, dans une certaine mesure, les manières d’investir, d’habiter et d’aménager. Par le spectre de l’organisation , de l’aménagement et de la décoration, les spécificités des intérieurs peuvent être ensuite établies. L’étude morphologique et fonctionnelle des multiples pièces de la maison – le salon, la cuisine, le sous-sol et la chambre – conduit alors, au-delà des apparences, à analyser les usages de l’espace dans un contexte d’exil et, par conséquent, la vision du monde qui y est projetée. ■ Les figures de l’habiter La relation qui unit les individus à leur espace domestique ne saurait se comprendre sans une exploration préalable des perceptions qu’ils ont de leur maison. En effet, la forme et l’atmosphère d’un lieu se construisent à partir d’une conjugaison de représentations socioculturelles et d’habitudes organiques4 qui influencent les projets, les besoins et les goûts personnels en matière d’aménagement. À la lumière de l’inventaire sémantique sur l’habitation effectué par Perla Serfaty-Garzon5, l’analyse des propos des informateurs a permis de dégager trois représentations de l’habiter arménien en diaspora, soit le foyer, la demeure et le chez-soi. ■ Le foyer Le foyer est l’un des éléments qui structurent l’intérieur domestique , puisque, au sens premier, il désigne le lieu où l’on fait le feu. Le terme, appliqué comme synecdoque à la globalité du bâtiment, transfère ainsi ses qualités calorifères à l’habitat; il devient, en un sens figuré, le lieu 2. Ludovic Joyeux, «Quand l’espace domestique se fait enjeux identitaires…», op. cit., p. 126. 3. La notion d’écologie est appliquée à l’étude des espaces domestiques dans l’analyse sociologique de Mihaly Csikszentmihalyi et Eugene Rocheberg-Halton, The Meaning of Things…, op. cit., p. 17. 4. Gaston Bachelard, La poétique de l’espace, op. cit., p. 32. 5. Perla Serfaty-Garzon, Chez soi. Les territoires de l’intimité, op. cit., p. 59-73. [3.145.206.169] Project MUSE (2024-04-25 10:31 GMT) POUR UNE ÉCOLOGIE DE L’HABITER 79 chaleureux de l’être ensemble et du bien-être. L’idée de foyer et les valeurs qui s’y rattachent trouvent chez les Arméniens une résonance particulièrement forte avec le culte païen du foyer ou thonir6. S’il n’est plus actif aujourd’hui, le culte s’est tout de même inconsciemment intégré à la vie domestique, dénué de ses connotations religieuses et de ses rites. Il consacre la maison en point central de la vie familiale et de la régulation sociale. L’organisation patriarcale qui en résulte perdure sous une forme modernisée dans la morale familiale, exprimée à divers degrés de pensée et d’action. Sévag énumère en ce sens les lois qui régissent la maison, essentielles...

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