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Introduction
- Presses de l'Université du Québec
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Introduction Depuis quelques années, une illustration majeure des changements climatiques semble se déployer: la fonte rapide de la banquise dans l’Arctique, unique dans les archives de la région. Ce phénomène, sans précédent dans l’histoire récente et dans la mémoire collective des Inuits, est incontestable, documenté, et ne saurait s’expliquer par des variations locales et naturelles: un argument de poids qui confirme les conclusions générales des travaux du GIEC. Cette fonte rapide laisse entrevoir la possibilité, d’ici quelques décennies, de la disparition totale de la banquise en été, ce qui constituerait un bouleversement environnemental majeur. La débâcle intervient déjà de plus en plus tôt, prolongeant la saison navigable de deux mois et demi à désormais trois à cinq mois. Elle permettrait l’ouverture de passages maritimes libres de glace sur des périodes de plusieurs mois. Elle relance ainsi les représentations associées aux mythiques passages du Nord-Est (au nord de la Sibérie) et du Nord-Ouest (à travers l’archipel arctique canadien), routes maritimes plus courtes de plusieurs milliers de kilomètres entre l’Europe et l’Asie que par Panama ou Suez. Ces perspectives de mers arctiques libres de glace sur de plus longues périodes relancent aussi les projets d’exploration minière et d’hydrocarbures, tant du côté russe que du côté canadien, avec des perspectives intéressantes en matière de pétrole, de gaz, d’or, de diamants, de nickel. Passages et mers arctiques Ce poids économique potentiel des deux passages arctiques modifie profond ément le statu quo géopolitique de l’Arctique, en ravivant la question de la souveraineté sur ces eaux arctiques canadiennes et russes. Pour Moscou comme pour Ottawa, les passages relèvent de leurs eaux intérieures, et donc de leur pleine souveraineté, alors que les États-Unis et l’Union européenne estiment que ce sont des détroits internationaux , donc ouverts à la navigation. Les enjeux politiques ici tiennent du contrôle stratégique de routes maritimes potentiellement importantes à moyen terme, mais aussi (en particulier au Canada) du souci de protéger un écosystème fragile que menaceraient sérieusement les risques inhérents à toute navigation accrue. Avec la fonte de la banquise, il devient aussi plus aisé d’exploiter les ressources naturelles de l’Arctique, les hydrocarbures et minerais dont l’abondance soupçonnée alimente des spéculations sans fin sur leur importance, le plus souvent à la hausse: l’Arctique serait ainsi un nouvel eldorado des hydrocarbures. Le Parlement européen votait, le 9 octobre 2009, une résolution appelant à la négociation d’un traité international pour la protection de l’Arctique, ce que rejettent les pays riverains, geste qui a contribué à l’échec de la demande d’admission de l’UE comme observateur au Conseil de l’Arctique. L’Union européenne a publié, le 20 novembre suivant, un énoncé de politique générale dans lequel elle affirme clairement son intention de se pencher sur ces enjeux2. Avant de quitter la présidence, dans la directive présidentielle du 9 janvier 2009, George Bush a lui aussi rappelé que l’Arctique demeurait au cœur des priorités stratégiques des États-Unis. Et, en novembre 2009, plusieurs officiers canadiens, dont le chef d’état-major Walter Natynczyk, ont souligné que l’Arctique était engagé dans un conflit régional et que le Canada pourrait perdre sa souveraineté sur l’Arctique s’il n’y investissait pas davantage – en termes militaires, bien entendu… Les médias et certains analystes se font les relais actifs de ces représentations de grand jeu géopolitique pour le contrôle des richesses et des routes arctiques. «La bataille du Grand Nord a commencé »; «Le passage du NordOuest est grand ouvert pour la navigation. Le changement climatique rapide avive les conflits dans l’Arctique »; «La fonte de la glace déclenche la course pour les ressources arctiques »; «Une bataille mondiale pour les fonds marins6 »; «La course aux . Ainsi que l’interdiction de la vente de produits du phoque sur son territoire, un geste qui a profondément heurté les communautés autochtones et les pays arctiques. 2. Commission européenne (2008). «L’Arctique mérite l’attention de l’Union européenne – première étape d’une politique arctique de l’UE», 20 novembre, . . Labévière, R. et F. Thual (2008). La bataille du Grand...