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4 c h a P i t r e Tango, sanTé eT conTrôLe socIaL en france Dans La PremIère moITIé DU XXe sIècLe sophie JacOtOt, PH. D. À la fin du xixe siècle, la danse de société est élevée au rang d’expression par excellence de l’élégance et du bon goût français. Outre ses qualités esthétiques, elle met en scène, dans le dispositif du bal, une distribution sexuée des aptitudes des danseurs qui reflète la répartition idéale des rôles de l’homme et de la femme dans la société bourgeoise. Pour le cavalier priment ainsi les qualités de force et d’élégance et, pour sa cavalière, celles de réserve et de pudeur. Avec le succès croissant des danses en couple fermé, au détriment des danses en quadrille, qui tombent en désuétude au début du xxe siècle, une nouvelle présentation sociale des corps se dessine, ainsi qu’un bouleversement des modes d’interaction entre les deux 1. Communication présentée à l’Université du Québec à Trois-Rivières à l’occasion du colloque interdisciplinaire Tango, culture et santé, le 28 mai 2009. 6 Tango sans frontières sexes2. Dans ce cadre pourtant propice aux mutations, l’introduction du tango, en France, à la veille de la Première Guerre mondiale, constitue un véritable choc moral. La pratique de cette danse instaure une révolution à la fois posturale – par le contact des bustes des partenaires –, kinésique – du fait de la prédominance de la marche et de la complexification des jeux de jambes – et rythmique – avec sa musique syncopée et la centralité de l’improvisation. Face à ces innovations, des réactions hostiles se multiplient et renouvellent la tradition pluriséculaire de réprobation de la danse dans l’Occident chrétien3. Au sein du clergé, de l’ordre médical ou du monde des lettres, toutes les autorités, avec des sensibilités politiques variées, convergent pour dénoncer la pratique – selon elles immorale – du tango, bientôt suivi, après la Grande Guerre, d’autres danses en provenance du continent américain, comme les danses jazz (fox-trot, shimmy, charleston, etc.), la samba, la rumba ou la biguine. Avec des arguments divers, les critiques tournent autour des mêmes enjeux: la difficulté à accepter l’évolution des mœurs et la crainte, au sein d’une large frange de la société, de la subversion de l’ordre social et sexuel permise par les danses des Amériques. Dans ce contexte, les discours médicaux, dont il s’agira d’analyser les ressorts et les fonctions, apparaissent comme l’une des formes de résistance à l’acculturation du tango en France entre les années 1910 et la Seconde Guerre mondiale. 1. Tango eT sanTé Avant d’étudier les discours de la première moitié du xxe siècle exposant les effets néfastes du tango sur la santé, notamment celle des femmes, il faut rappeler que l’argumentaire inverse existe aussi 2. Pour plus de détails, voir S. Jacotot (2008a). Entre deux guerres, entre deux rives, entre deux corps. imaginaires et appropriations des danses de société des Amériques à Paris (1919-1939), thèse de doctorat en histoire, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. 3. Voir A. Arcangeli (1998). «Danse et sociabilité dans le miroir du discours théologique», dans A. Montandon (dir.), Sociopoétique de la danse, Paris, Anthropos, p. 55-63. [3.138.113.188] Project MUSE (2024-04-23 18:12 GMT) Tango, santé et contrôle social en France dans la première moitié du XXe siècle 6 au cours de la période, même s’il est plus circonscrit. Malgré son aura subversive au regard de l’Église et des milieux les plus conservateurs , la pratique sociale de la danse est considérée depuis l’Ancien Régime comme un exercice sain pour le corps et l’esprit. Enseignée aux jeunes gens de bonne famille au même titre que le piano, l’escrime ou l’équitation4, la danse constitue un outil efficace de dressage des corps (apprentissage du maintien juste, des positions élégantes et gracieuses) et d’enseignement des bonnes manières à adopter en société. Dans le manuel d’Eugène Giraudet, célèbre maître de danse de la Belle époque, on trouve...

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