In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

1 C H A P I T R E UNE IDENTITÉ EN DANGER LE VERTIGE DE L’ILLIMITÉ L’état de proximité délicieusement frémissant décrit en ouverture laisse entrevoir un appel proche de l’envoûtement: l’exaltation de faire corps avec ce qui attire tant, de s’y fondre, exprime un désir de fusion totale. En effet, la fascination renferme une demande de réitération de l’extase vécue dans l’union, associée au prodigieux sentiment de plénitude. Or, dans le tournis que peut provoquer cette plénitude, advient imperceptiblement , mais non moins réellement, un glissement séraphique vers l’abîme, voire un abandon à ce qui est vécu comme une promesse d’absolu: le dépassement intégral de son caractère d’humain, parfois encombrant, et abandonné aux émois du sublime, au vertige de l’illimité… Aussi ne serat -on pas étonné de l’engouement pour ces autres expressions, «sublime» et «illimité». Sublime: on entend que l’expérience de l’extrême devient délice. Et le délice de cette union totale alimente la fusion, laquelle aspire à une étendue sans freins ni embûches, à savoir l’illimité. Le principe même de limite se dissout dans la dynamique du fascinans. No limits, no death. No death, no limits. Nous touchons là le pivot de cet essai: la fascination porterait le désir irrépressible de rencontrer l’ailleurs et l’autrement, mais se nourrissant elle-même de son fantasme, elle se veut sans entrave, infinie. Sous 16 La fascination – Nouveau désir d’éternité cette poussée loge la fantaisie de l’éternité, de la suspension du temps: on voudrait à la rigueur continûment et pour toujours «être en état de fascination». Qu’elle soit illimitée… Si nous explorerons au fil du propos la portée et le destin de cet illimité fascinant dans nos conceptions du temps, du vivre et du mourir, nous nous attarderons davantage dans les prochaines pages aux incidences de la fascination sur l’individuation, tâche première et essentielle du vivre, chez l’humain. Enfin, si la fascination peut nous sembler à la fois si évidente et si sublime, c’est qu’elle bénéficie de certains appuis dont la teneur mérite qu’on s’y attarde un brin. QUELQUES DÉPERDITIONS ISSUES DE LA FUSION FASCINATOIRE«Trop beau pour être vrai», entend-on fréquemment. Ne soumettons rien en regard de LA vérité. Tentons simplement de nuancer et de baliser tout à la fois le caractère merveilleux et néanmoins périlleux d’une disposition qui puise dans l’histoire de l’humanisation, par les voies de la socialisation et de l’enculturation. Il arrive ainsi que le mouvement d’attirance envers ce qui fascine s’emballe, du fait que l’admiration se déporte vers l’idéalisation. L’autre est paré de toutes les vertus, de tous les savoirs. Or cette ardente déférence peut bien virer en déréalisation, ou même en considération outrancière, principalement, voire exclusivement, de l’aspect chatoyant, du caractère éminemment agréable de l’attirance et, partant, de l’objet qui nous inspire. On a appelé ce phénomène «idolâtrie». Par suite, le plaisir vertigineux d’être reconnu par ce qui fascine comble, si bien que l’aptitude à l’autonomie – à penser par soi-même – se dissipe sous l’hétéronomie ou la soumission à ce que cet objet «propose»: on jauge, on juge davantage en fonction des critères énoncés par le fascinans, dans une reddition de sa propre faculté de discernement. Tranquillement, ce qui se donnait dans l’assentiment devient adhésion , et surtout, l’adhésion se durcit en adhérence. (D’ailleurs, il est courant d’entendre au fil des débats: «J’adhère à ce que vous dites…».) De même, ce qui résultait d’une considération habituelle de facteurs multiples s’efface sous la poussée de l’exclusivisme, phénomène qui, on le verra, trouve une analogie dans la pensée unique, unidimensionnelle. [3.15.202.4] Project MUSE (2024-04-25 11:49 GMT) Une identité en danger 17 Or toute adhésion repliée sur elle-même en s’axant sur l’illimité implique une abolition tranquille ou fracassante de la singularité de celui qui est attiré, fût-elle de l’ordre de la...

Share