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Ouverture
- Presses de l'Université du Québec
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Ouverture De prime abord, la fascination implique un frémissement de la sensibilité et des sens, qui sont sollicités sans attente préalable, ce qui ne manque pas de contribuer au plaisir de se sentir ainsi – comme on dit – «agréablement surpris». Puis s’ébauche un mouvement vers ce qui nous charme, nous hisse hors de l’ordinaire, souvent perçu comme trop ordinaire: en soi, se mouvoir, c’est du vivant. Et avancer dans le ravissement, nous allons tous convenir que c’est encore plus… ravissant, au sens d’être transporté dans un délice dit suprême. Et pas encore au sens d’être enlevé. C’est répondre à l’appel du vivant. Car la fascination commande une volonté en acte de se rapprocher de cet objet fabuleux qui nous entraîne vers et avec lui, généralement sous la promesse de bonheur: emprunter un trait de caractère d’un être cher, réaliser un essai technique novateur, participer à un superbe spectacle, ressentir l’écoulement impétueux d’un cours d’eau, côtoyer une personnalit é à la fois brillante et un brin énigmatique, et à l’avenant. Volonté, certes, et pourtant différente de la familière, un ressort que l’être en cours de fascination, si l’on peut dire, ne se connaissait pas. Et cette découverte est en soi enchanteresse. Et allégeante. Comme si l’Idéal du moi qui nous anime se déportait soudainement sur une autre incarnation, et pas n’importe laquelle: cet objet, ce projet, condenseraient en eux les qualités désirables, le dessein, l’apogée, auxquels on aspire. Il y a beaucoup de ce «déplacement » lorsque, médusé, l’être se dit: «Ça existe, ça existerait vraiment?»,«Voilà enfin ma place…» Et là, l’impossible glisse un pas de deux vers le probable: se tenir non seulement près, mais tout aux côtés. 12 La fascination – Nouveau désir d’éternité Puis l’être fasciné veut se tenir dans le sillage de cet objet qui l’extirperait du simple besoin, forcément trop vite assouvi. Cet objet l’entra înerait plutôt vers le désir d’être et d’être mieux, un désir source de tension incontournable dans le fait du vivant humain. On n’est plus alors dans la réponse à un besoin, mais dans le réseau complexe inhérent au désir, celui de l’interrogation de la relation et par elle, en fait, de l’accomplissement. On pénètre entre autres dans l’indicible et le terme «c’est fascinant», brillant dans sa nudité, veut TOUT dire pour qui l’énonce. Ce dernier n’a pas besoin d’élaborer, au sens de développer le propos. Mais qu’en est-il du sens de faire mûrir? Justement, l’appelé par cette force hors du commun espère à toute force «grandir» puisqu’il lui semble que le caractère magique dont est paré l’objet fascinant lui sera offert en partage, le soulageant de son sentiment d’impuissance ou le confortant dans sa propre puissance, voire l’amplifiant. Or la magie n’est pas d’abord tour de passe-passe. Elle tiendrait plutôt de la capacité – on parle de «don» – à se tenir dans une posture intermédiaire entre l’ordre temporel, terre-à-terre, quotidien, bref, profane, et l’ordre intemporel, hors humain, transcendant l’expérience profane, en bref, l’ordre sacré. L’être fascinant – ou le phénomène – par définition, a du charisme, ce «je-ne-sais-quoi» d’envergure qui l’élève au-dessus des contingences. Il lui arrive des choses exceptionnelles. Il pose et permet ce regard sur le monde qui ouvre au hors-monde… Et, éventuellement, cette distance qui le rend juste assez proche pour autoriser un repérage analogique au commun des «mortels» lui épargne la critique. Au contact de cette puissance, l’identité de l’être fasciné ne peut – croit-il – que s’enrichir, s’exalter, dépasser ses propres limites. S’ouvre ainsi l’accès à l’univers de l’investissement libidinal, par exemple d’un individu envers un autre, ou encore, d’une foule envers un individu ou un personnage devenu emblématique . En d’autres termes, l’accès à l’expérience de l’amour. Quoi de plus beau? Le mouvement que la fascination imprime témoigne ainsi d’une disponibilité mentale, et d’abord souvent sensorielle, à vivre une « expérience » sous...