Science et religion en éducation: Comment répondre aux questions des enfants

Chapitre 19. Au-delà des confl its entre religion et science Y a-t-il une place pour une épistémologie éthique en éducation ?

CHAPITRE 19 Au-delà des conflits entre religion et science Y a-t-il une place pour une épistémologie éthique en éducation? Gina Thésée Paul R. Carr Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. Rabelais Un peu de science éloigne de Dieu, mais beaucoup y ramène. Louis Pasteur La science sans la religion est boiteuse, la religion sans la science est aveugle. Albert Einstein Dans l’esprit contemporain occidental, religion et science semblent encore si résolument irréconciliables que poser l’équation de leur continuité relève d’une gymnastique intellectuelle apparemment aussi hérétique qu’inutile. L’éducation n’échappe pas à cette vision dichotomique qui disjoint religion et science. L’enseignement de la religion est aujourd’hui profondément remisenquestiontandisquel’enseignementdelascienceexclutradicalement 190 Science et religion en éducation les dimensions relatives à la religion. Au-delà des conflits historiques et politiques entre religion et science, une continuité épistémologique sousjacente se révèle. Les avancées de la science du xxe siècle, notamment en physique quantique et en épistémologie, ouvrent de nouveaux espaces de réflexion qui invitent à mettre en évidence les trames de continuité entre religion et science et, ce faisant, à raccommoder leurs ruptures arbitraires. Adopter une perspective socio-épistémologique et critique permet de mettre en évidence les fils communs qui les ont tissées l’une et l’autre au cours des derniers siècles et qui, paradoxalement, les ont radicalement opposées lors de l’élaboration de la pensée occidentale moderne. C’est la pensée elle-même qui ressort gagnante de cette mise en liens à la fois éthique, philosophique, religieuse et scientifique. En ce sens, les enjeux actuels de l’éducation aux sciences offrent un contexte pédagogique fertile pour aborder, selon une perspective plus globale que nous appelons une éthique épistémologique, les questions socialement vives telles que le débat opposant les créationnistes et les évolutionnistes. En conclusion, ce chapitre propose des motifs pour lesquels religion et science peuvent être abordées ensemble en classe de sciences comme en classe d’éthique et culture religieuse. L’un des mythes fondateurs de la civilisation occidentale réside dans la nette séparation de l’État et de l’Église et, subséquemment, dans la disquali fication de cette dernière notamment par la pensée, la méthode et les succès de la technoscience des quatre derniers siècles. De tout temps, l’Église a sévèrement réprimé les esprits rebelles qui remettaient en question ses dogmes en générant des connaissances qui ébranlent le rapport au monde«visible» et «invisible». Se soustrayant peu à peu de son emprise, les États occidentaux se sont émancipés, ce qui leur a permis de prendre part rapidement aux manifestations du progrès matériel et économique que leur apportait la technoscience. En se substituant à l’Église, l’État se voulait le garant à la fois de la liberté de foi religieuse pour les croyants et de la liberté de conscience pour les non-croyants dans une société séculaire délibérément ignorante des préoccupations fanatiques du religieux. Ainsi, la pensée religieuse, le personnel religieux de même que les rituels religieux, qui ont façonné la pensée éducative et l’école occidentales au cours des derniers siècles, ont peu à peu été évacués au profit d’une pensée séculaire ne faisant qu’une place de plus en plus congrue à des cours de religion, de morale ou de culture religieuse. Mais, bien que la place réservée à la religion varie selon le contexte, la religion marque encore profondément le tissu social de chaque société occidentale. En ce sens, le néolibéralisme ambiant, qui favorise à la fois la commercialisation de l’activit é humaine et l’hégémonie du marché, minimise le rôle de la religion dans la société tout en, paradoxalement, favorisant la glorification et la suprématie de la religion chrétienne (McLaren, 2007). Inversement, c’est la pensée Au-delà des conflits entre religion et science 191 scientifique qui anime l’éducation contemporaine et donne le ton au rituel scolaire. Les sciences scolaires constituent désormais le critère déterminant dans la classification, l’évaluation, le succès et le devenir scolaire...