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L’économie, l’éthique et la politique : vers de nouveaux liens Guy Roustang Aussi faut-il que l’on ne fasse pas un seul pas vers l’intégration dans la société sans en faire un vers plus de liberté. Karl Polanyi Introduction Sans doute y a-t-il intérêt à examiner les difficultés rencontrées par nos sociétés, en reprenant des interrogations anciennes sur les relations économie–société. Parmi ces difficultés, on peut signaler l’augmentation du chômage et de l’exclusion qui ne concerne plus seulement les marges de la société ; le fossé entre les individus et les institutions économiques, syndicales, politiques, religieuses ; l’économie de la drogue qui organise la vie collective de certains quartiers et qui, au niveau mondial, tend à brouiller les frontières entre argent propre et argent sale, etc. Il n’est pas question d’un déterminisme économique qui ferait de l’économie la cause de tous nos maux, mais plutôt de considérer que la place « déterminante » qu’elle a prise constitue un élément important de notre situation. Pour penser les rapports économie–société, il y a à prendre du recul et à revenir sur les raisons qui avaient amené les sociétés traditionnelles qui nous ont précédés à cantonner l’économie, alors que nos sociétés modernes ont parié sur son autonomie et son expansion indéfinie. De même est-il intéressant de se remémorer quelques inquiétudes des sociologues, à la naissance de la sociologie, sur les risques de destruction de la société que représentait un développement économique sans bornes. Peut-on, pour demain, imaginer une dialectique entre 46 Contre l’exclusion : repenser l’économie ces prudences des sociétés traditionnelles et les acquis de nos sociétés modernes, notamment : la sortie du monde de la magie1 et l’individualisme comme valeur centrale ? Progresser dans cette voie supposerait la collaboration de philosophes, d’économistes et de sociologues. Autant dire que les réflexions qui suivent sont avancées avec une conscience aiguë de leur caractère fruste, comme une esquisse de programme de travail, eu égard au fait que ce n’est rien de moins que la remise en question de l’économique comme signification imaginaire centrale de nos sociétés remplissant la « fonction majeure » (Castoriadis, 1975), c’est-à-dire, en ultime instance, régissant tout et assurant la cohérence de la société (Bellet, 1993). De bonnes raisons de limiter l’économie La représentation dominante voudrait que le faible niveau de la production dans les sociétés traditionnelles s’explique par le faible développement des forces productives. Cette idée fait sortir de ses gonds P. Clastres dans sa préface à M. Sahlins Age de pierre, âge d’abondance (Sahlins, 1976). Alors que classiquement on caractérise l’économie primitive comme économie de subsistance, c’est-à-dire en fait comme économie de la misère, tout juste capable au prix d’un labeur incessant de nous éviter de mourir de faim et de froid, Sahlins y oppose les faits ethnographiques. À titre d’exemple, les chasseurscollecteurs nomades des déserts d’Australie et d’Afrique du Sud ne consacrent que quelques heures par jour, cinq au maximum en moyenne et le plus souvent entre trois et quatre heures, à la quête de leur nourriture2 . L’économie primitive n’est pas une économie de la misère mais « la première société d’abondance », car elle permet de satisfaire pleinement des besoins définis par la société, et elle s’arrête de produire par refus du surplus et non par incapacité objective de produire plus. En écho à Clastres qui écrit : « Les Sauvages produisent pour vivre, ils ne vivent pas pour produire », Hannah Arendt nous indique à propos du monde grec antique : « Si le propriétaire décidait d’accroître ses biens au lieu de les dépenser à mener une vie politique, c’était comme s’il sacrifiait sa liberté pour devenir volontairement ce que l’esclave était contre son gré : un être soumis à la 1. Le traducteur de l’ouvrage de Max Weber Histoire économique. Esquisse d’une histoire universelle de l’économie et de la société (1981 : 379) indique qu’il traduit par « sortir le monde de la magie » l’expression « Entzauberung der Welt » afin de rendre sa dimension positive au phénomène, que la traduction usuelle (« d...

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