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Présentation
- Presses de l'Université du Québec
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PRÉSENTATION Plus de cent ans après la mort de Karl Marx, faut-il répondre à la fameuse question concernant le Sphinx, ce curieux « animal » à identifier, à supposer que cet « animal » puisse être le « marxisme », ayant atteint l’âge de la maturité, reposant solidement sur ses deux pattes que sont une théorie de la connaissance scientifique (le matérialisme dialectique) et une théorie de l’histoire et de l’action politique (le matérialisme historique) ? Faut-il plutôt répondre que cet « animal », qui fut jadis l’un des fruits les plus brillants et les plus bruyants de la culture occidentale, a atteint l’âge de la sénilité, et que la troisième patte qui le fait encore tenir debout est celle (de bois comme le langage qu’elle parle) que constituent les partis communistes ? Ou enfin faut-il répondre de façon ambiguë que cet « animal » est « à quatre pattes » ? Dans ce dernier cas, le ton ironique de la réponse pourrait laisser entendre que le marxisme est en pleine jeunesse, que, encore mal assuré sur ses quatre pattes que sont l’héritage de la philosophie allemande, l’héritage de l’économie politique anglaise, l’héritage de la pensée politique française (pour reprendre le fameux triptyque de Engels), et l’héritage de la classe ouvrière organisée sous la direction éclairée des partis communistes (pour actualiser un peu ce triptyque), il ne devrait pas tarder, une fois la synthèse révolutionnaire réalisée, à se dresser pour changer la face du vieux monde ; inversement, le ton cynique de cette dernière réponse pourrait laisser entendre que le marxisme est à bout de souffle et qu’une telle posture « à quatre pattes » ne peut être que l’illustration flagrante du rôle idéologique qu’il remplit au service de l’asservissement à un pouvoir autoritaire. Bien entendu nous ne nous risquerons pas à répondre à cette question, non pas que nous craignions d’être mangés tout un, mais tout simplement parce qu’une particularité exemplaire d’une certaine pensée marxienne a toujours été de refuser que soit définitivement circonscrit le champ de la réflexion et de l’action ouvert par Marx lui-même à l’orée de la modernité. Ce qui est qualifié actuellement comme étant une « crise du marxisme » s’inscrit beaucoup plus généralement dans la crise de la pensée radicale et de l’action révolutionnaire. Le fait que les doigts soient pointés sur le « marxisme » n’est rien d’autre que la conséquence de la fabuleuse capacité de monopolisation qu’ont eue, respectivement, les écrits du « socialisme scientifique » sur l’intelligentsia radicale, et les 10 UN SIÈCLE DE MARXISME principes marxistes-léninistes d’action politique sur l’organisation des luttes sociales révolutionnaires. C’est la pertinence actuelle de ce quasi-monopole dont a bénéficié le marxisme qui apparaît maintenant problématique à de nombreux égards. L’importante mobilisation intellectuelle des penseurs radicaux, dont a fait l’objet le projet de Marx de construire les fondements d’une connaissance scientifique radicale de la réalité sociale, a produit une floraison d’« interprétations » et de « contributions » dans tous les domaines de la connaissance des faits sociétaux. Sans dénier l’importance historique de ces apports à la connaissance, notamment dans les domaines de la philosophie matérialiste dialectique, de l’économie politique, de la sociologie des grands groupes sociaux, de l’analyse des fondements idéologiques du discours politique et des formes juridiques de domination, de l’analyse de la nature et du rôle social de l’État et des institutions, etc., la question reste encore ouverte, et peut-être plus que jamais, de savoir si l’œuvre de Marx et de ses « commentateurs » et « continuateurs » constitue effectivement une rupture épistémologique radicale avec la pensée « dominante ». Par ailleurs, ce premier questionnement sur l’effective radicalité scientifique de Marx et de la pensée marxienne, se trouve alimenté par le fait paradoxal que ces nouveaux territoires du « continent Marx » ont été à l’origine de nouvelles formes d’idéologisation spécifiquement marxistes et particulièrement sectaires et dogmatiques. Ces interrogations sur la radicalité de la pensée marxienne et sur la paradoxale incontinence idéologique du discours politique marxiste se doublent, d’autre part, d’inévitables questions, que l’on ne peut pas ne pas se poser à l’heure...