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LE MARXISME AU QUÉBEC : UNE HÉGÉMONIE INTELLECTUELLE EN MUTATION (1960-1980) Lucille BEAUDRY Il convient généralement de situer l’amorce de l’emprise du marxisme au Québec dans le contexte de la Révolution tranquille dont l’effet de libéralisation des idées politiques a permis l’éclosion de multiples courants de pensée et en particulier l’expression d’idées politiques progressistes. Paradoxalement c’est dans la production intellectuelle que s’immisce et se déploie le marxisme au Québec et principalement sous la forme de périodiques d’analyse politique et d’argumentation en faveur d’une transformation radicale de la société. Bien que cette effervescence intellectuelle donne lieu à un moment donné à un développement d’organisations politiques se réclamant du marxisme, leur caractérisation a été et reste celle de la marginalité politique. Aussi, tout en ne niant pas qu’il y ait eu et qu’il y a effectivement une interaction entre les courants d’idées marxistes et le mouvement ouvrier (dont les manifestes et les luttes témoignent à plus d’un titre et dont la sociologie politique peut le mieux rendre compte), nous limiterons notre propos au marxisme comme formes prédominantes du discours politique écrit pendant près de deux décennies (1960-1980). De ce point de vue, le marxisme a exercé d’abord et avant tout une emprise idéologique sans avoir été pour autant univoque. Selon l’influence des courants du marxisme et de la problématique afférente, elle a porté des orientations politiques aussi diverses que celle qui prônait l’indépendance du Québec en opposition à celle-là même qui proclamait l’urgence de bâtir un Canada socialiste. Ces deux positions politiques ont traduit le changement idéologique du marxisme dominant, allant successivement de la prédominance de la question nationale par rapport à la lutte des classes à l’obsession de la question du parti comme moyen d’édifier le socialisme au Canada et s’ouvrant au tournant des années quatre-vingt à des remises en question qui participent d’une certaine manière de la « crise du marxisme ». C’est l’articulation de cet autre discours politique de gauche dont le renouvellement des idées passe par la réactualisation de la question nationale et de la démocratie qui peut le mieux nous permettre de saisir ce qu’il en est (ou reste) du marxisme au Québec à l’heure actuelle par rapport à ce qu’il a été. 260 UN SIÈCLE DE MARXISME UN MARXISME À LA RESCOUSSE DU NATIONALISME Le contexte de la Révolution tranquille voit paraître pour la première fois au Québec des périodiques d’analyse politique déployant une argumentation en faveur d’un changement radical de la société québécoise. Revue socialiste (1959-1962), Parti pris (1963-1968), Révolution québécoise (1964-1965), Socialisme (1964-1969) expriment l’éclosion d’une pensée socialiste traduisant les préoccupations politiques des intellectuels. Pour la première fois au Québec, des collectifs de rédaction se réfèrent aux oeuvres classiques des fondateurs du socialisme (Marx, Engels et Lénine) et tentent de lier la théorie et la pratique. Ceux qui écrivent manifestent une volonté explicite d’intervenir activement pour changer la société et en particulier d’établir des liens avec le mouvement ouvrier (en l’occurrence syndical). L’initiation aux thèses de l’analyse marxiste pour étudier et prendre position quant à la réalité socio-politique québécoise illustre de façon préremptoire l’état du capitalisme au Québec, notamment sa dépendance voire la propriété anglophone (anglo-canadienne ou américaine) et son corollaire la domination nationale. Aussi, le problème de l’oppression nationale du Québec devient prédominant dans l’ensemble des débats et c’est Parti pris en rétrospective qui assume une espèce de pôle intellectuel de référence dans ce qu’il est convenu d’appeler la formulation d’un néo-nationalisme québécoise. Si le marxisme et l’existentialisme sartrien ont inspiré l’équipe de Parti pris dans son effort d’élaboration d’une pensée révolutionnaire proprement québécoise, le plaidoyer en faveur de la libération nationale du Québec ressort davantage de conceptions issues des théories de la décolonisation africaine...

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