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CHAPITRE V LA SYNTHÈSE DE BORTKIEWICZ Les relations entre le calcul en valeurs et le calcul en prix ont, après tout, un caractère complètement mathématique, et le traitement inadéquat de ce problème, par Marx, illustre la pauvreté de ses capacités mathématiques. Wertrechnung und Preisrechnung im Marxschen System. C’est un mathématicien russe, dont l’œuvre considérable et variée demeure trop peu connue, qui met le point final à la première phase du débat maintenant séculaire dont nous avons rendu compte dans les chapitres précédents. Il propose, du problème de la transformation des valeurs en prix de production, une solution généralement considérée comme définitive. Bortkiewicz élabore cette solution dans le cadre d’une formalisation mathématique du système ricardien, plus précisément de son modèle de prix de production. Il cherche ainsi à concilier, dans un même modèle mathématique, théorie marxiste et théorie ricardienne de la valeur, des prix et du profit. Ceci ne peut être réalisé, nous le verrons, qu’au prix de l’abandon des concepts fondamentaux de l’analyse marxiste. Par cette lecture ricardienne du Capital, la critique de l’économie politique est transformée en « économie politique marxiste ». Fondateur de cette « école » nouvelle, Bortkiewicz est, simultanément, l’un des principaux précurseurs de l’analyse néo-ricardienne, aujourd’hui très en vogue. Pour accomplir sa tâche, Bortkiewicz s’est inspiré des travaux de deux de ses compatriotes. C’est Tugan-Baranowsky, nous l’avons vu, qui a mis en lumière l’erreur technique de Marx, en unissant les modèles de reproduction et de transformation. Et c’est à un obscur économiste et mathématicien, récemment redécouvert, V.K. Dmitriev, que Bortkiewicz emprunte la formalisation de la théorie ricardienne des prix de production. Dmitriev propose en effet, dès 1904, une « synthèse organique » des théories rivales 126 VALEUR ET PRIX de la valeur, analysant, dans cette perspective, les oeuvres de Walras, Cournot et Ricardo1 . Il formalise mathétiquement la théorie ricardienne, apportant une réponse définitive aux objections marginalistes sophistiquées aux thèses de Ricardo. Il anticipe, sur plusieurs points, les travaux de Sraffa, de même que l’analyse inter-industrielle, en particulier les travaux de Leontief. C’est d’ailleurs en Russie, dans l’équipe de chercheurs qui entouraient Preobrajensky , que Leontief a commencé l’élaboration de son célèbre modèle d’input-output. Et ce modèle est maintenant utilisé pour formaliser la théorie« marxiste » de la valeur et la transformation, ce qui permet d’achever la subversion de l’analyse marxiste, et sa « transformation en économie bourgeoise », commencées par Bortkiewicz. Ladislaus von Bortkiewicz est né à Saint-Pétersbourg en 1868, d’une famille d’origine polonaise, et a fait ses études dans cette ville. Ses premiers travaux scientifiques datent du début des années 18902. Grâce à W. Lexis, il obtient un poste à l’Université de Strasbourg, en 1895, avant de revenir enseigner à Saint-Pétersbourg entre 1899 et 1901. Il fut nommé en 1901 professeur d’économie et de statistiques à l’Université de Berlin où il resta jusqu’à sa mort en 19313 . Il y demeura toujours très isolé, et son enseignement fut peu suivi. Néanmoins, en quarante années d’activité scientifique, il publia une masse énorme de recherches sur diverses questions d’économie, de statistiques théoriques et de calcul des probabilités, de mathématiques et de physique. La bibliographie, incomplète, de son œuvre établie par Anderson compte près de 90 titres4 . La plupart de ses articles prenaient la forme de critiques qui indisposaient en général leurs victimes : d’où, sans doute, l’isolement dont nous avons parlé plus haut. Dans sa notice biographique, Anderson écrit que, doué d’une intelligence analytique extraordinairement aiguë, Bortkiewicz ne pouvait tolérer les erreurs théoriques ou d’inattention dans les travaux scientifiques. Il avait une exceptionnelle persévérance pour contrôler l’exactitude des exemples numériques et la dérivation des formules mathématiques des textes qu’il critiquait5 . La critique de certains aspects des travaux de Marx constitue l’une de ses oeuvres les plus importantes. Il y consacre, en 1906 et 1907, une série de trois longs articles intitulés : « Calcul en valeurs et...

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