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1. Introduction
- Presses de l'Université du Québec
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CHAPITRE PREMIER Introduction Les hypothèses de travail De nombreux chercheurs de la réalité argentine répondant aux orientations théoriques les plus diverses reconnaissent le fait que les propriétaires terriens ont été le groupe social dominant dans le pays depuis son indépendance politique de l’Espagne (1810) jusqu’à l’avènement du régime péroniste (1946). Mais les points de vue ne coïncident plus lorsqu’il s’agit de l’évolution argentine dans l’après-guerre. Quelle est la signification de la révolution nationaliste de 1943-1945 qui allait préparer l’accession du péronisme au pouvoir ? Quels sont les groupes sociaux qui l’ont orientée ? Quelle a été leur idéologie ? Quelle interprétation donner aux dix années de péronisme au pouvoir (1946-1955) et aux dix-huit années d’anti-péronisme qui ont suivi ? Il n’est pas possible de passer ici en revue avec détails toutes les interprétations proposées ; nous pouvons par contre tâcher de les grouper au moins en quatre grands types, parmi lesquels on trouvera des variations. L’historiographie libérale, dans l’acception la plus large, interprète le péronisme — et le régime nationaliste qui l’a précédé — comme la version argentine du fascisme européen ; la période de 1955 à 1973 est vue comme le retour au régime démocratique. Cette hypothèse est lancée par les penseurs libéraux de l’évolution argentine dans l’après-guerre, tant dans les milieux intellectuels que dans celui de la politique nationale. L’énoncé le plus élaboré de cette interprétation dans le champ des sciences sociales est celui que propose le sociologue Gino Germani, ex-professeur de l’Université de Buenos Aires et actuellement à l’Université de Harvard (G. Germani, 1962). À son point de vue, il faut comprendre le péronisme comme un mouvement social formé de deux éléments fondamentaux : une armée imprégnée de l’idéologie nationale-socialiste et une classe ouvrière d’origine rurale, incorporée récemment au travail industriel, sans expérience politique urbaine et donc mobilisable par un politicien de charisme. Cette interprétation est basée sur une analyse rapide de la politique du régime péroniste, sur les tentatives multiples — menées avec succès —d’organisation corporative des travailleurs et des patrons pendant la décennie de 1945-1955 et sur l’idéologie des militai- 2 LES ENTREPRENEURS DANS LA POLITIQUE ARGENTINE res argentins avant 1945. Selon l’interprétation du professeur Germani, aucun conflit entre les fractions de la classe propriétaire ne serait intervenu dans le processus. Le retour au régime démocratique après le coup d’État de 1955 n’aurait pas non plus de contenu de classe ; il s’agirait du retour à la normalité institutionnelle, d’un processus de modernisation politique accompagnant le développement économique, c’est-à-dire, l’évolution normale des pays en voie de croissance. II est certain que nous ne pouvons inscrire notre recherche dans le cadre d’un système théorique de ce genre. D’abord, l’analyse de la politique économique du péronisme et des divers gouvernements qui lui succédèrent nous montrera le poids décisif des groupes d’entrepreneurs capitalistes sur les décisions de l’État. D’autre part, depuis 1955 et pendant plus de la moitié de notre période, cette politique sera maintenue grâce aux coups d’État militaires successifs qui ont renversé les gouvernements élus ; de plus, la condition illégale depuis 1955 du parti péroniste majoritaire réfute aussi la prétendue modernisation politique. Si nous observons le développement économique du pays — ou plutôt sa stagnation — depuis 1950, il nous sera impossible d’adhérer à l’interprétation de l’Argentine comme pays en voie de croissance, ou de justifier dans ces termes la libéralisation de l’économie commencée en 1955 et poursuivie presque sans interruptions jusqu’à nos jours. Les travailleurs, entre 1943 et 1946, ne constituent pas non plus la base inconsciente d’un processus qu’ils ne comprennent pas : le travail de recherche de M. Murmis et J. C. Portantiero (1970) montre clairement le rôle décisif du vieux syndicalisme dans l’organisation du parti politique qui mènera Peron à la présidence en 1946. Quels sont donc les éléments qui restent...