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«Une patrie neuve dans un monde vieilli» L’historicité paradoxale de l’abbé Casgrain à Victor-Lévy Beaulieu Stéphane Inkel Université Queen’s Résumé Dans un texte célèbre de 1866, «Le mouvement littéraire au Canada », l’abbé Casgrain est peut-être celui qui a le mieux cerné l’historicité particulière du «Canada français» lorsqu’il la désigne comme une «patrie neuve» dans un «monde [qui] a vieilli». Nous retrouvons là, en germe, le modèle d’une histoire qui se fait rupture, ellipse et soubresauts, à mille lieues du modèle catholique d’une histoire du salut se déroulant irrévocablement vers le terme assigné par la Providence. On se surprendra davantage de retrouver cet énoncé à peu près inchangé sous la plume d’écrivains issus de la Révolution tranquille. Victor-Lévy Beaulieu, l’écrivain qui a le plus clairement rendu compte de ce rapport paradoxal à l’histoire, situera ainsi son projet dans la même logique eschatologique que Casgrain. Par l’analyse de certains énoncés de VLB, il s’agira de soutenir comment cette historicité, entendue ici en tant que mode d’inscription collectif dans la temporalité définissant la façon de se représenter l’histoire – de même que l’ancrage du présent dans son rapport au passé et à l’avenir –, est le lieu privilégié de ces effets de hantise que l’on peut définir en tant que phénomènes de répétition, ou si l’on préfère qu’elle est affligée d’une mémoire dont l’un des modes les plus actifs prend la forme d’un retour du refoulé. L’un de ces retours les plus probants est celui du discours messianique, que je voudrais ici tenter de mettre en relief. Le Québec à l’aube du nouveau millénaire 291 Parmi les premiers à vouloir rompre le charme de l’idéalisation largement admise d’une Révolution tranquille pourtant encore fraîche dans les mémoires, voici ce que Fernand Dumont écrit dans un des textes regroupés dans Le sort de la culture: De toutes les manières, nos idéologies ont proclamé ou insinué que, depuis vingt ans, nous sommes entrés dans un nouvel âge, absolument différent des âges qui l’ont précédé: effondrement d’un espace idéologique ancien; commencement d’un avenir. À partir de cette conscience historique élaborée au cours de la Révolution tranquille, on a bricolé une espèce de philosophie de l’histoire pour usage québécois: embrassant d’un coup le passé et le présent, on y a réparti une période de la conservation, une période du rattrapage, une période du développement (Dumont, 1995, p. 327; Dumont souligne). Notons bien les mots choisis par Dumont, imprégnés d’un dédain assez rare pour être soulignés: une espèce de philosophie de l’histoire, qui plus est bricolée pour usage domestique. On verra dans ce dédain le signe d’un certain inconfort devant l’imprécision gênante de cette «philosophie de l’histoire», largement héritée du xixe siècle et qui, malgré l’abandon de la théodicée qui en formait l’arête, est peut-être demeurée quelque part tapie dans l’ombre de la conscience historique des acteurs de la Révolution tranquille. Cherchant aujourd’hui à circonscrire la position singulière longtemps occupée par le Québec, «entre tradition et modernité», il me semble devoir partir de cette«espèce» de philosophie de l’histoire, ou si l’on veut de l’expérience du temps présidant à l’historicité québécoise, entendue ici en tant que mode d’inscription collectif dans la temporalité définissant la façon de se représenter à la fois le temps et l’histoire1 . L’étude de la littérature peut alors apporter une contribution significative dans la définition de cette historicité parce que, s’intéressant à ce rapport entre littérature et histoire, elle se penche avant tout sur la logique même de l’énonciation, c’est-à-dire sur une structure formelle qui, si elle n’échappe pas au travail de l’idéologie, est située suffisamment en amont de l’intenté du discours pour rapprocher ceux des auteurs les plus éloignés (chronologiquement et politiquement). Prenons l’œuvre de...

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