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Le Public est dans la ru2 Thierry PAQUOT Le phénomène urbain, depuis ses origines, attribue à la rue une dimension constitutive. En effet, la ville s’affirme avant tout comme un lieu d’échanges, de rencontres, de commerces au sens le plus large du terme, et c’est par les routes et les chemins qu’on y accède. La rue est à dire vrai une route bordée de maisons, plus ou moins rapprochées. Grâce aux travaux des historiens, nous pouvons reconstituer les ambiances urbaines et se représenter la vie dans la rue à Athènes, Rome ou Lutèce, puis dans les villes médiévales ou celles de l’Âge classique. Entendre les bruits ordinaires, sentir les odeurs spécifiques à tel métier localisé dans telle rue, toucher l’étoffe du vêtement du marchand qui arrive avec sa caravane ou du guerrier qui sert le seigneur local. Toujours grâce aux historiens, nous distinguons les rues nocturnes des diurnes, les places et leurs parades, les boulevards et leurs foules moqueuses et nonchalantes, les avenues et leurs manifestations revendicatrices. Avec la modernité, née de l’industrialisation, de la production de masse et de la généralisation du transport mécanique, les rues se modifient dans leur forme, leur atmosphère, leur économie. Des vitrines ornent les boutiques, les trottoirs facilitent la déambulation, le mobilier urbain participe au confort urbain, l’éclairage public associe le jour et la nuit qui ainsi ne les oppose plus, les transports en commun se multiplient et l’automobile s’impose. Des mouvements de toute nature traversent en permanence la ville. Elle ressemble à un écheveau aux mille circulations emmêlées, nouées. Tout en elle circule: les capitaux, les marchandises, les personnes, les sentiments, les croyances, les peurs, les rumeurs, les désirs, les images… Ces mouvements adoptent des vitesses contrastées et le citadin est pris dans leurs tourbillons incessants aux rythmes décalés, il en résulte chez lui une réelle excitation agréable et parfois un léger vertige, qui aspire à une pause réparatrice. 102 — Cahiers du gerse Françoise Choay considère que «l’espace est le mode obligé de tout comportement humain » (Choay, 2003 : 15) et qu’ainsi il construit chacun tout autant que ce dernier le construit. De manière volontairement schématique, elle scande l’histoire urbaine de l’Occident en trois moments, marqués par un type particulier d’espacement : le Moyen Âge et l’espace de contact, l’époque classique et l’espace de spectacle et la ville moderne et l’espace de circulation. Elle précise que ces moments se chevauchent et que leurs caractéristiques propres survivent en se modifiant. Elle explique également que le basculement d’un moment à un autre résulte de changements , tant économiques, sociaux, technologiques, religieux, politiques que culturels. Dans la ville médiévale, «la maison, observe Françoise Choay, n’est pas séparable de la rue sur quoi elle ouvre; le double ourlet des maisons définit le ruban de la rue et inversement» (2003: 26). Avec l’âge classique ou baroque, note notre auteure, selon les appellations, […] le programme élimine du tissu urbain le hasard et les différences d’antan; le long des rues et des places, régulières et géométriques, les façades identiques et de même hauteur dessinent un cadre géométrique qui exprime l’universalité de l’homme et de sa raison, et non plus ses particularités. (2003: 54) Avec la révolution industrielle, la ville coopère à la production et à la consommation des marchandises (tout devient marchandise, du reste) et constitue, selon le mot du baron Haussmann, un «système circulatoire général» (Choay, 2003: 79). Actuellement, à la suite d’innombrables «progrès» technologiques qui font de la vitesse leur mesure, nous quittons la ville pour l’urbain diffus où règne l’espace de connexion. Ce sont les territoires du quotidien urbain de la modernité-monde que je souhaite explorer, sachant qu’ils sont à la fois nombreux et dissemblables. Si le mot «modernité» est utilisé et peut-être inventé pratiquement au même moment par Théophile Gautier, Maxime du Camp et Charles Baudelaire, c’est ce dernier qui en propose la plus subtile définition. Dans son étude «Le Peintre et la vie moderne», vraisemblablement rédigée en 1859 et publiée en...

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