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C H A P I T R E 2 Politique et religion Le glissement conservateur de la société américaine? Élisabeth Vallet À mon arrivée aux États-Unis, ce fut l’aspect religieux du pays qui frappa d’abord mes regards. À mesure que je prolongeais mon séjour, j’apercevais les grandes conséquences politiques qui découlaient de ces faits nouveaux. Tocqueville – De la démocratie en Amérique 28 – Le conservatisme américain Comme l’expliquait Alexis de Tocqueville, les croyances religieuses exercent une influence singulière sur la société politique aux ÉtatsUnis1 . Parmi les Américains, 96% se disent croyants, 90% se réclament d’une confession, 70% sont associés à une structure cultuelle, 47% se disent pratiquants, tandis que 46% sont évangéliques ou «born again2 ». Les Églises aux États-Unis sont un acteur clé qui pèse plus de 100 milliards de dollars3 : «We are a religious people, expliquait le juge Douglas, whose institutions presuppose a supreme being4.» L’imbrication est réelle5 : en effet, «si les États-Unis ont vigoureusement séparé les Églises de l’État, ils n’ont jamais dissocié politique et religieux6 ». D’ailleurs, l’influence du prédicateur baptiste Billy Graham7 sur la vie politique américaine en témoigne. L’étrange interaction entre le religieux et le politique trouve des manifestations frappantes dans la récitation quotidienne de la prière à la Maison-Blanche sous George W. Bush ou encore à travers le fait que Graham ait prononcé les deux oraisons inaugurales de Clinton, en 1993 et en 19978, et celle de W. Bush en 20019. Il s’en trouve certains pour dire aujourd’hui que l’évangélisme définit les termes de la «religion civile américaine10 ». Assurément, depuis les années 1950, le troisième «grand réveil11 » (puisque ce sont ces «réveils religieux» qui ponctuent la vie sociétale américaine) a conduit les églises à s’adapter aux modes de vie contemporains et a 1. Alexis de Tocqueville (1986). De la démocratie en Amérique, Paris, Flammarion, réédition, Tome 1, p. 392 et 396. 2. Voir: The Barna Group (décembre 2004), The State of the Church. [En ligne]. . 3. André Kaspi et al. (2004). La civilisation américaine, Paris, Presses universitaires de France, Quadrige, p. 242-243. 4. Cour suprême des États-Unis, Zorach v. Clauson, 343 U.S. 306, 1952. [En ligne]. . 5. Voir sur ce point, par exemple: James Bolner Sr., «Religion and the United States Constitution», dans Serge Ricard dir. (1999). États-Unis d’hier, États-Unis d’aujourd’hui – Mélanges en l’honneur de Jean-Pierre Martin, Paris, L’Harmattan, p. 147 et suiv.; Arlin M. Adams et Charles J. Emmerich (1990). A Nation Dedicated to Religious Liberty: The Constitutional Heritage of the Religion Clauses, Philadelphia, University of Pennsylvania Press. 6. Sébastien Fath (2004). Dieu bénisse l’Amérique – La religion de la Maison-Blanche, Paris, Seuil, p. 31. 7. Sébastien Fath (2002). Billy Graham, pape protestant?, Paris, Albin Michel. 8. On pourra d’ailleurs se référer à l’article de Clinton lui-même, sur Graham, dans le premier périodique chrétien aux États-Unis: Bill Clinton, «An Arkansas Hero», Christianity Today, 13 novembre 1995, p. 26. Voir, également, Madeleine Albright (2006), The Mighty and the Almighty: Reflections on America, God, and World Affairs, New York, Harper Collins. 9. En 2004, son fils, Franklin Graham, officiera à sa place. 10. Que Sébastien Fath (2004) définit comme une «sorte de religion générique qui rassemble les citoyens par-delà leurs étiquettes confessionnelles», op. cit., p. 48. 11. Le premier «grand réveil» est le fait d’un pasteur calviniste, Jonathan Edwards, au XVIIIe siècle. Le deuxième «grand réveil» survient à la fin du XIXe siècle et redéfinit la forme du protestantisme (lecture littérale de la Bible, égalitarisme, individualisme , prosélytisme). [3.19.56.45] Project MUSE (2024-04-23 16:09 GMT) Politique et religion – 29 renforcé leur présence dans la vie politique. À tel point qu’il semblerait que, désormais, la dimension religieuse de certaines valeurs portées par les candidats a un effet – fût-il très partiel – sur l’issue des élections présidentielles12, par le biais d’une corrélation étroite entre la «religiosit é» et le conservatisme social. C’est ce lien que l’on approfondira ici, en se penchant notamment sur l...

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