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5. Les pouvoirs et les fragilités du grand âge
- Presses de l'Université du Québec
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5 C H A P I T R E LES POUVOIRS ET LES FRAGILITÉS DU GRAND ÂGE Les mentalités empreintes d’âgisme et les préjugés particulièrement négatifs entretenus à l’égard des milieux d’hébergement convergent pour dresser un portrait des résidents âgés vus comme étant des personnes complètement passives et impuissantes face à la prise en charge de leur propre vie. Allant à l’encontre de ces représentations, cet ouvrage a voulu adopter un point de vue différent selon lequel, malgré les pertes et les vulnérabilités indéniables des résidents âgés, ceux-ci disposent, au même titre que tous les citoyens, d’une marge de pouvoir et de liberté. Ils ont des forces et des faiblesses. Or, à force de fixer notre regard sur les pertes et sur la maladie, on en vient à perdre de vue la personne; ce qu’elle est et ce qu’elle a été. Ce chapitre porte spécifiquement sur les droits et l’empowerment des résidents, tels que définis et perçus par eux. La première section du chapitre s’attarde donc à la conception nuancée qu’ont les résidents du pouvoir, laquelle est intimement liée à leur capacité de penser, de décider et d’exercer un certain contrôle sur leur quotidien . Puis nous nous intéressons aux marges de liberté qu’ils s’inventent et tentent de se donner «sous surveillance», malgré le 104 Vieillir en milieu d’hébergement contrôle exercé par le personnel et les contraintes institutionnelles. La délicate question des mauvais traitements envers les résidents est ensuite abordée. La position de vulnérabilité des personnes âgées hébergées s’y reflète, non seulement dans leur façon de percevoir les atteintes à leurs droits fondamentaux, mais aussi dans les strat égies qu’ils adoptent pour y faire face et qui sont principalement orientées vers l’évitement et le contournement. Voici donc ce que les résidents, dits en perte d’autonomie, nous ont révélé au sujet de leur autonomie, de leurs droits et de leur pouvoir d’agir (ou de ne pas agir) au quotidien. Certains lecteurs y verront d’abord des faiblesses puis des potentialités, d’autres retiendront surtout des forces puis des faiblesses, tout dépendant de leur propre positionnement, de leur âge, de leur expérience du vieillissement, de leur statut social, etc. 1. ÊTRE AUTONOME, C’EST AVOIR «TOUTE SA TÊTE» Le concept de «perte d’autonomie» est intimement lié aux milieux collectifs d’hébergement pour les personnes âgées. Le vocabulaire des professionnels est d’ailleurs largement teinté par les approches médicales: perte d’autonomie physique, cognitive ou fonctionnelle, dépendance en ce qui concerne les activités de la vie quotidienne et domestique, comorbidité, nombre d’heures-soins par jour, etc. Dans l’imaginaire collectif, les représentations des citoyens âgés hébergés se trouvent malheureusement trop souvent réduites à cette notion de dépendance. Quelques résidents s’identifient à ces préjugés et semblent se définir d’abord comme «malades» (ces quelques résidents font tous partie du profil des «prisonniers», présenté au chapitre suivant), mais le discours dominant des participants se pose en contradiction avec cette image populaire. Les résidents ne se définissent pas et ne parlent pas d’eux comme étant «en perte d’autonomie». En fait, dans les entretiens, ils ont peu parlé de leurs problèmes de santé, de leurs maladies ou de leur médication. La plupart insistent plutôt sur leurs capacités qui, en comparaison avec celles de bien des résidents côtoyés quotidiennement, leur apparaissent comme un potentiel important. Plusieurs se considèrent comme relativement autonomes, [44.221.45.48] Project MUSE (2024-03-29 13:59 GMT) Les pouvoirs et les fragilités du grand âge 105 malgré une dépendance marquée sur le plan de leurs activités quotidiennes . Le témoignage de cet homme, qui est paralysé et a besoin de plusieurs heures de soins par jour, est éloquent: «Moi, tout ce que je sais, c’est que j’ai perdu les jambes. Mais je suis pleinement là, je suis presque autonome» (Monsieur N., 66 ans). Un tel discours peut paraître surprenant pour quelqu’un qui vit dans un centre d’hébergement et de soins de longue dur...