In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

L’INTERFÉRENCE RELUE ET VISITÉE1 border la question de l’interférence n’est pas chose simple puisque cette notion suppose toute une scène, tout un contexte où sont mobilisés plusieurs agents, et qu’elle prend à revers une conception unitaire et pleine du sujet et des signes. Quand on parle d’interférence, on suppose des parcours brisés, des lignes rompues, des déplacements qui mobilisent et démobilisent l’usager des signes. Il s’agit en outre d’une notion qui a un passé relativement lourd dans le champ d’une sémiotique que l’on pourrait qualifier de classique, fondée sur le code et sur la communication, avec tous les problèmes méthodologiques que ces fondements peuvent occasionner au sein des études littéraires et ailleurs. L’interférence procède d’un champ lexical et d’une suite paradigmatique qui la doublent et l’accompagnent: il semble en effet difficile , en surface comme en profondeur, de traiter de l’interférence sans parler de réseaux, de bruits, de brouillage et de parasites. Ainsi, pour bien en rendre compte, nous commencerons par effectuer un examen étymologique, qui nous permettra de suivre le 1. Cet article a été publié sous le même titre dans Protée («Les interférences»), vol. 24, no 2, automne 1996, p. 7-14. Nous remercions Protée pour l’aimable autorisation de le reproduire. Daniel VAILLANCOURT University of Western Ontario A 192 | THÉORIES ET PRATIQUES DE LA LECTURE LITTÉRAIRE parcours du terme dans les différents champs de savoir où il s’énonce. Nous considérerons ensuite la pensée de Michel Serres, qui a développé une position singulière et heuristique par rapport aux phénomènes interférentiels, les utilisant et les déplaçant dans le cadre de son «mode de circulation généralisée» des discours et des savoirs. Enfin, nous verrons , dans une situation de lecture donnée, comment l’interférence intervient et permet de reconfigurer un réseau de choix interprétatifs. Cette situation se produit quand, par exemple, un lecteur est aux prises avec le religieux dans le discours. Le lecteur est alors dans la position de faire jouer des cribles et des postures qui, de la croyance ou de la noncroyance , modifient la donne, jouant avec ce qui rompt et dédouble. Il doit en quelque sorte changer son régime identitaire afin d’abandonner une perspective unique et d’être enrichi par la «voix» interférente. Avant d’entreprendre l’examen étymologique, il est cependant nécessaire de s’interroger sur la nature même de l’interférence: s’agitil d’un état, d’une réalité descriptible dans au moins une de ses composantes , d’un phénomène ou d’un processus? Il semble y avoir une première distinction à établir entre l’interférence comme résultat, état, et l’interférence comme processus, stratégie. Quand on lit des textes sur l’interférence, on est vite frappé par la dimension pragmatique de celle-ci, par sa dimension de «verbe», manifestée par des expressions comme «faire de l’interférence», «interférer». Le résultat importe moins que le mode d’action, comme si toute interférence impliquait une dynamique2. Pourquoi? Passons à l’examen étymologique... Philologein Ce type d’examen – proche d’une attitude philologique – doit être justifié au sein d’une analyse sémiotique. Disons qu’il tire son origine de la généalogie foucaldienne (1971, 1982) qui ne consiste pas simplement à retrouver l’origine d’un terme, mais bien à dessiner un champ de forces sémantiques qui traversent l’amont et l’aval de son usage contemporain. Il s’agit de marquer les conditions de possibilité et 2. C’est d’ailleurs le caractère dynamique de l’interférence qui rend sa théorisation intéressante pour le champ sémiotique, dans la mesure où elle nous rappelle la nature dynamique et non statique, relationnelle et non équivalente du signe et de ses composantes. [3.22.70.9] Project MUSE (2024-04-19 22:05 GMT) d’impossibilité qui forment l’horizon sur lequel est activée l’énonciation du terme, et encadrent l’imaginaire culturel, soit, en définitive, de tracer le lieu d’une trajectoire tordue, inconsciente, apparaissant ainsi en excroissance par rapport à la positivité d’un terme3. Le terme «interf érence» est, en ce sens, d’emblée...

Share