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Chapitre 8 Marquage corporel et désir de minceur chez la jeune femme
- Presses de l'Université du Québec
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8© 2003 – Presses de l’Université du Québec Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.uquebec.ca Tiré de: Enjeux psychosociaux de la santé, J.J. Lévy, D. Maisonneuve, H. Bilodeau et C. Garnier (dir.), ISBN 2-7605-1233-9 C H A P I T R E MARQUAGE CORPOREL ET DÉSIR DE MINCEUR CHEZ LA JEUNE FEMME Réflexion sur le contrôle et sur le corps à l’adolescence Jocelyne THÉRIAULT Tatouer son corps, le percer en différents endroits, l’orner de cicatrices ou d’implants sous-cutanés sont des pratiques de modification corporelle qui, récupérées par les médias, renvoient à de nouveaux modes de « personnification du corps » (Dumas, 2001, p. B-1), à de nouvelles formes d’art, à un nouvel esthétisme (Elkouri, 2000, p. B-1) et à un nouveau mouvement, le « Modern Primitive » (Musafar, 1996). Dans la documentation scientifique, le marquage corporel fut analysé surtout en termes d’acte social. On se réfère ici aux écrits se rapportant à l’anthropologie et à l’ethnologie où la marque est conçue, entre autres choses, comme un signifiant rituel (Maertens, 1978 ; Ludvico et Kurland, 1995). Dans ce contexte, le tatouage inscrirait, par exemple, « la volonté de rompre une fois 108 Enjeux psychosociaux de la santé© 2003 – Presses de l’Université du Québec Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.uquebec.ca Tiré de: Enjeux psychosociaux de la santé, J.J. Lévy, D. Maisonneuve, H. Bilodeau et C. Garnier (dir.), ISBN 2-7605-1233-9 pour toutes avec la société, voire une intention d’endurcissement par quoi la pulsion de mort trouve sa satisfaction » (Maertens, 1978, dans Tenenhaus, 1993, p. 39). Les écrits se rapportant à la psychosociologie analysent aussi le marquage corporel en termes d’acte social. La marque est ici conçue comme un moyen d’exprimer son expérience du monde (Coudrais, 1988). Dans ce contexte, on dira par exemple que les corps marqués incitent à la parole et la parole incite à son tour à l’avènement de nouveaux corps marqués (Sanders, 1989 ; Soyland, 1997). Dans la documentation scientifique, le marquage corporel fut également analysé en termes d’acte individuel. On pose ici la question du fonctionnement psychique de la personne marquée. Certains écrits portent, par exemple, sur la symptomatologie ou le diagnostic psychiatrique des gens marqués (Favazza, 1998) et d’autres analysent les motivations poussant à la marque. À ce chapitre, les motivations manifestes y furent largement étudiées. La dimension latente, inconsciente, de leurs motivations le fut beaucoup moins toutefois (Tenenhaus, 1993). Le marquage corporel (perçage non traditionnel1 et tatouage) est un phénom ène en pleine expansion chez les jeunes de milieux variés (Armstrong, 1996 ; Greif, Hewitt et Armstrong, 1999). Les rapports de recherche révèlent en effet que, d’une part, 10 à 20% d’Américains sont engagés dans cette pratique (Atkinson et Young, 2001 ; Sanders, 1989) et que, d’autre part, les filles plutôt que les gars contribuent à l’augmentation du phénomène. Considérant que plus de femmes que d’hommes rapportent des problèmes liés à la santé psychologique (Guyon et al., 1996), on peut se demander si, au-delà de l’« acte social » qu’il suggère, le marquage corporel représente pour les filles de nos sociétés une tentative de solution aux souffrances ou vulnérabilités éprouvées : celles associées à leur développement psychosexuel, voire à la gérance de leur nouvelle « maturité » physique sexuelle et des rapports nouveaux qu’elle annonce (Brooks-Gunn et Graber, 1999) ? À partir des résultats d’une étude qualitative portant sur un groupe de jeunes femmes multimarquées2, le présent essai propose une réflexion sur le contrôle et sur le corps à l’adolescence. Plus spécifiquement, il propose une exploration des liens qui unissent le marquage corporel au phénomène d’anorexie/ boulimie. Cette réflexion sur le contrôle s’inscrit dans le contexte des nombreux 1. L’expression « perçage non traditionnel » renvoie au perçage du corps sur des régions autres que les oreilles. 2. L’échantillon de cette étude est composé de jeunes femmes marquées (tatouage et per- çage) à plus de deux reprises. Certaines ont rapporté un diagnostic d’anorexie/boulimie...