La morale, l'éthique, l'éthicologie: Une triple façon d'aborder les questions d'ordre moral

Chapitre 5_Une méthode éthicologique

Une méthode éthicologique Comment analyser un discours moral ou éthique ? Dans ce chapitre, nous proposerons une méthode permettant à celui ou celle qui désire entreprendre une telle analyse de dégager, puis de rendre compte le plus honnêtement possible des enjeux qu’on y retrouve. En effet, la démarche éthicologique, comme nous l’avons souligné précédemment, peut être définie comme la recherche de ce qui est en jeu, de ce qui est en cause lorsqu’une personne soutient qu’une action est« bonne » ou « mauvaise », « juste » ou « injuste », « morale » ou « immorale. L’objectif poursuivi dans cette démarche consiste à dégager les principaux éléments de la dynamique présente dans un discours moral ou éthique. Non pas dans le but, rappelons-le, d’entrer en polémique avec le locuteur, d’évaluer la qualité de son argumentation, ou encore de la justifier, mais en vue de comprendre ce qui est en jeu dans son argumentation. L’atteinte de cet objectif exige donc, entre autres, que toute personne qui entreprend une telle démarche se soucie, dès le départ de sa recherche, de faire la lumière sur les intérêts qui la conduisent à entreprendre ce genre d’analyse. En d’autres termes, il est très important, à la fois pour elle et le destinataire de son étude, qu’elle précise le « lieu » d’où elle parle et que, tout au long de son travail d’analyse, elle ne perde pas de vue l’angle sous lequel elle aborde son objet. Tout en se préoccupant de la nature particulière de l’objet qui s’expose à l’observation, la démarche éthicologique exige que l’on fasse la lumière sur les objectifs de celui ou de celle qui le construit. En effet, 88 La morale • L’éthique • L’éthicologie quand on étudie la dynamique morale et éthique, notre «objet» est tout autant extérieur à nous que très intime. Tantôt il nous apparaît étranger, tantôt il nous conduit aux racines de notre être, de nos modes d’être à soi, à l’autre et au monde. Dans L’usage des plaisirs, Michel Foucault écrit pertinemment que toute action morale « implique un certain rapport à soi ». Ce rapport à soi n’est pas « simplement "conscience de soi" mais constitution de soi comme "sujet moral" », en ce sens que l’individu, au contact de la valeur, de la règle, de l’interdit, « agit sur lui-même, entreprend de se connaître, se contrôle, s’éprouve, se perfectionne, se transforme1». Nous ajoutons à ces affirmations de Foucault que l’étude de la valeur, de la règle, de l’interdit éprouve également celui ou celle qui s’y consacre. En raison de la force d’attraction de l’objet, il est nécessaire d’accorder une attention particulière au sujet qui procède à l’analyse du discours moral ou éthique, en examinant attentivement ses préoccupations, ses intérêts et ses objectifs. 1. Une méthode, qu’est-ce à dire ? Qui dit méthode, dit chemin, marche, cheminement. Dans un merveilleux texte Edgar Morin présente bien ce qu’elle est : À l’origine, le mot méthode signifiait cheminement. Ici, il faut accepter de cheminer sans chemin, de faire le chemin dans le cheminement . Ce que disait Machado : Caminando no hay camino, se hace et camino al andar. La méthode ne peut se former que pendant la recherche; elle ne peut se dégager et se formuler qu’après, au moment où le terme redevient un nouveau point de départ, cette fois doté de méthode. Nietzsche le savait : « Les méthodes viennent à la fin » (L’Antéchrist). Le retour au commencement n’est pas un cercle vicieux si le voyage, comme le dit aujourd’hui le mot trip, signifie expérience, d’où l’on revient changé. Alors, peut-être, aurons-nous pu apprendre à apprendre en apprenant. Alors, le cercle aura pu se transformer en une spirale où le retour au commencement est précisément ce qui éloigne du commencement2 . Quand on emprunte la méthode éthicologique, telle que décrite dans ce chapitre, il faut être capable d’étonnement et de disponibilité face à son objet, dont la complexité échappera toujours à ceux et celles qui appliquent des grilles de lecture trop rigides. 1. Michel FOUCAULT, L’usage des plaisirs. Paris, Éditions Gallimard, 1984, p. 33. 2. Edgar MORIN, La méthode. Tome...