Pratiques d'action communautaire en CLSC: Acquis et défis d'aujourd'hui

Chapitre 2_Histoire de l’organisation communautaire au Québec

CHAPITRE 2 Histoire de l’organisation communautaire au Québec Laval Doucet L’action communautaire en CLSC n’est pas une nébuleuse constituée par des poussières d’actes communautaires hétéroclites et emportés par les hasards des espaces socio-politiques changeants. C’est bien plutôt une forme de l’organisation communautaire ayant une place précise dans un espace reconnu et qui donne une identité à des praticiennes et praticiens qui se reconnaissent en ce lieu. Dans le cas qui m’occupe, j’avance la position que l’action communautaire en CLSC est une forme hybride d’intervention qui résulte du croisement de trois modèles d’intervention communautaire élaborés par J. Rothman et dont nous nous sommes inspirés, Louis Favreau et moi, dans notre récent livre Théorie et pratiques en organisation communautaire (Doucet et Favreau, 1991 : 5-34). 48 Laval DOUCET Mon propos maintenant consistera à vous présenter l’histoire de l’organisation communautaire en mettant l’accent sur les temps forts qui ont conduit à l’émergence de chacun des modèles pour arriver en bout de ligne à la constitution de l’action communautaire en CLSC comme entité distincte. Je terminerai en rappelant ce qui m’apparaît un acquis de grande importance à valoriser et je soumettrai à votre attention un défi majeur qu’il faudra relever. DE KRAMER À ROTHMAN : UN CONCEPT, UNE THÉORIE On peut demander à l’histoire avec un grand H d’être objective, mais pas à l’historien que je suis. Dans mon cas, il y a un parti pris pour expliquer la pratique communautaire, c’est l’approche théorique avancée par Jack Rothman, en 1968. Tandis qu’auparavant, je craignais d’affirmer haut et fort ce parti pris, maintenant tout cela a changé. Quelque chose s’est produit dans la chimie socio-communautaire au Québec. Ça me donne des ailes. Avant de vous résumer à grands traits cette théorie, je rappellerai une conception de l’organisation communautaire tout à fait compatible avec la vision Rothman, c’est celle formulée par Ralph Kramer : L’organisation communautaire réfère à différentes méthodes d’intervention par lesquelles un agent de changement professionnel aide un système d’action communautaire composé d’individus, groupes ou organisations à s’engager dans une action collective planifiée dans le but de s’attaquer à des problèmes sociaux en relation directe avec des conditions de l’environnement et des institutions sociales. Son action porte d’une part sur les processus interactionnels – identifier, vérifier, travailler avec les membres, développer des relations satisfaisantes avec l’organisation et les individus – et porte d’autre part sur les tâches techniques – définir le problème, étudier les causes, formuler des plans, développer des stratégies, mobiliser des ressources et évaluer les résultats des programmes. À propos de sa théorie, maintenant, Rothman nous met en garde : ce n’est pas une construction terminée, c’est-à-dire que ce n’est pas la grand all embracing theory – la grande théorie englobante. À son avis, après avoir parcouru et analysé plus de 1 500 études sur la pratique communautaire, il juge prématuré l’exercice de la construction théorique définitive. Pour l’instant, il appelle ses modèles des stratégies favorisant l’explication de l’agir. Sa façon de voir est tout de même partagée de plus en plus en Europe, aux États-Unis, au Canada anglais et chez nous : chercheurs et praticiens y retrouvent un cadre de référence pratique. Histoire de l’organisation communautaire au Québec 49 Le noyau dur de cette théorie est fondé sur la reconnaissance du fait que l’organisation communautaire est constituée de méthodes autorisant un mélange d’approches qui répondent aux trois orientations suivantes : le développement local appelé aussi le développement communautaire, le planning social et l’action sociale. LE DÉVELOPPEMENT LOCAL, LE PLANNING SOCIAL ET L’ACTION SOCIALE Le développement local est perçu comme le processus visant à créer des conditions de progrès social et économique pour la communauté entière en l’associant directement. Les procédures démocratiques, la coopération volontaire, l’engagement personnel (self-help), la formation d’un leadership émanant du milieu constituent les ingrédients principaux de cette stratégie. Le planning...