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Élitisme ou démocratisation? Les étudiants des universités de Montréal et McGill (895-958) 7 Karine Hébert«Les étudiants font l’université […] ils sont l’université.» C’est du moins ce qu’affirme un étudiant de l’Université de Montréal en 1947. Sur le plan numérique, cet étudiant n’a pas tort. Néanmoins, encore de nos jours, la majorité des études historiques consacrées aux universités insistent davantage sur l’institution elle-même, son mandat, ses relations avec le pouvoir, etc., que sur ce groupe, coloré et grouillant, composé d’étudiants et d’étudiantes. Dans les pages qui suivent, ce groupe a été voulu au cœur de l’analyse. Quelle place est réservée aux étudiants dans le monde universitaire? Comment ceux-ci en viennent-ils à distinguer esprit universitaire et esprit étudiant? Comment les fluctuations identitaires étudiantes influent-elles sur la manière dont les étudiants, qui sont en règle générale des jeunes, perçoivent leur situation à l’université? Voilà les questions qui animent cette réflexion sur la recherche identitaire de la communauté étudiante montréalaise. Elles sont intimement liées à une interrogation plus large à propos de ce que l’on appelle d’ordinaire la fonction sociale de l’université. Pour répondre à ces questions, une approche comparative a été retenue. Deux communautés étudiantes montréalaises se partagent ici la vedette: celle de l’Université McGill et celle de l’Université de Montréal (Université Laval à Montréal jusqu’en 1919-1920). Ces deux universités, traversées de pratiques, de traditions et de référents culturels différents, ont été choisies parce qu’elles permettent de faire ressortir les ancrages sociaux et culturels des institutions universitaires, en plus d’embrasser la complexité et la diversité de la communauté étudiante montréalaise. 1. La rédaction de cet article a été rendue possible grâce à la collaboration de Julien Goyette. Cette recherche a bénéficié du soutien financier du CRSH et du FQRSC (anciennement FCAR). Le Groupe d’histoire de Montréal a également apporté sa contribution financière à ce projet. 134 Chapitre 7 De cette manière, on peut espérer éviter certains pièges de «fausses singularités et [de] causalités artificielles2 ». Le choix des années 895 et 1958 comme bornes temporelles a, quant à lui, été dicté par l’histoire étudiante, et non par l’histoire institutionnelle des universités. Au long de cette période, à travers notamment la formation d’associations étudiantes générales et la fondation de journaux étudiants à partir de la fin du xixe siècle, de même que l’établissement d’une communauté étudiante québécoise, spécialement avec la première grève étudiante le 6 mars 1958, une identité étudiante se développe au sein des deux grandes universit és montréalaises3. L’avènement d’une telle identité, c’est ce que l’on se propose d’examiner ici, ne va pas sans une remise en question de l’institution universitaire, de sa fonction sociale (former la future classe dirigeante ou permettre un accès élargi à l’éducation supérieure?), du type d’encadrement qu’elle valorise (paternalisme ou responsabilisation?), du statut qu’elle reconnaît aux étudiants (l’élite de demain, jeune génération ou jeunes travailleurs intellectuels?). Deux universités, deux cultures La communauté étudiante montréalaise de l’époque repose sur deux bases institutionnelles relativement distinctes. Il importe avant tout de situer ces lieux, d’en apprendre davantage sur l’origine et le fonctionnement de ces deux universités qui se sont côtoyées sans nécessairement entretenir toujours un réel dialogue4. Au Québec, le système scolaire s’est développé selon une division confessionnelle, entre catholiques et protestants, qui s’étendait jusqu’à l’université. Les deux principales communautés culturelles montréalaises, les Anglo-protestants et les Franco-catholiques, comptaient chacune sur leur propre système d’éducation. Cette façon de faire répond à un impératif culturel historique au Canada, les deux grandes communautés ayant rapidement compris que l’école, à tous les niveaux, est un endroit privil égié pour transmettre les valeurs aux nouvelles générations et insérer les jeunes dans l’univers adulte5. La première université montréalaise à voir 2. G. BouChard, «L’histoire sociale au Québec. Réflexion sur quelques paradoxes », Revue d’histoire de l’Amérique française, 51...

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