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C H A P I T R E 10 MÉDICAMENTS PSYCHOTROPES ET PLACEMENT DES JEUNES EN CENTRES DE RÉADAPTATION Denis Lafortune Université de Montréal Depuis plus de 30 ans, l’essor de la génétique, l’émergence des neurosciences et la parution des dernières versions du Diagnostic and Statistical Manual, les DSM III et IV, ont profondément modifié les conceptions et pratiques en santé mentale, et ce, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des milieux médicaux (Ehrenberg et Lovell, 2001 ; Kirk et Kuchins, 1992). Tel que le mentionne le National Institute of Mental Health : « Le DSM a délimité le domaine de la classification psychiatrique et, par conséquent, contrôlé le discours sur la maladie mentale, structuré les axes de recherche et établi les paramètres de connaissance, y compris de compréhension théorique, de la maladie mentale ». Moncrieff et Crawford (2001) voient dans cette évolution un changement radical des cadres de référence :« une orientation de plus en plus biologique depuis quelques décennies » (p. 350). Durant la même période de 30 ans, au Québec du moins, la santé mentale des enfants et adolescents placés en centres de réadaptation, de même que les défis qu’elle pose aux intervenants ont été des problématiques régulièrement discutées. Déjà le rapport Batshaw (Ministère des Affaires sociales du Québec, 1975) soulignait l’insuffisance, dans les centres jeunesse, des mesures d’encadrement clinique pour les jeunes manifestant des troubles de comportements et des problèmes de santé mentale. Trente 224 LE MÉDICAMENT AU CŒUR DE LA SOCIALITÉ CONTEMPORAINE ans plus tard, ce constat gardait toute son actualité, peu de mesures concrètes ayant été apportées afin de faciliter les interventions. Le rapport Batshaw, le rapport Harvey II (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 1991), le rapport Corriveau (2000) et le Rapport clientèle jeunesse multiproblématique (Comité ministériel sur l’imputabilité et le partage des responsabilités, 2003) sont allés dans le sens des conclusions plus récentes du rapport Lacour (Lacour et al., 2004), qui affirmait : « L’une des difficultés récurrentes du réseau touche particulièrement les centres jeunesse qui doivent assumer la réadaptation spécialisée de plusieurs centaines de jeunes éprouvant, outre des problèmes de comportement ou de maltraitance, de sérieux problèmes de santé mentale sans avoir accès aux ressources, aux programmes ou à l’encadrement appropriés » (p. 19). Tous les praticiens et gestionnaires ont donc insisté pour que les centres jeunesse « puissent disposer de l’expertise nécessaire (notamment en vue d’adapter leur infrastructure et de former adéquatement leur personnel clinique) et qu’ils puissent compter sur un encadrement médical et psychiatrique garanti » (Lacour et al., 2004, p. 19). La situation est d’autant plus complexe que le placement est souvent un moyen d’accéder à des services sociaux et de santé pour des jeunes qui présentent simultanément des besoins de protection, des problèmes d’adaptation et des troubles mentaux. En effet, d’aucuns interprètent la hausse continue des signalements en protection de la jeunesse comme témoignant d’un mode indirect d’accès aux services de santé mentale du réseau (Conseil de la santé et du bien-être, 2001). Autrement dit, il est souvent suggéré que les Directions de la protection de la jeunesse [DPJ] sont obligées de jouer un rôle de suppléance à certains services pédopsychiatriques spécialisés. Dans cette introduction, il faut aussi rappeler que les tableaux cliniques présentés par les jeunes placés en centres jeunesse ont souvent été qualifiés de « mixtes, complexes ou multiproblématiques ». Dans la mesure où ils combinent des symptômes somatiques, affectifs, cognitifs et comportementaux , ils soulèvent d’importants enjeux au plan de l’évaluation (diagnostics différentiels), de l’explication (facteurs étiologiques invoqués) et de la prise en charge (modalités de traitement et responsabilités professionnelles ). Plusieurs intervenants, médicaux et psychosociaux, risquent donc d’être impliqués. Enfin, durant ces trois décennies, les ordonnances de médicaments psychotropes faites aux jeunes ont été en progression constante dans tous les types d’environnement clinique, incluant les milieux institutionnels. Globalement, la prévalence des prescriptions auprès des jeunes a triplé tous...

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