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C H A P I T R E 5 DE L’USAGE «PLASTIQUE» DES ANTIDÉPRESSEURS1 Pierre-Luc St-Hilaire Université de Montréal In contemporary Western culture, “feeling good” about oneself is understood to be an accomplishment worthy of effort in that it makes us better workers, spouses, and, more generally, better able to contribute to the society. Gimlin, 2000 La consommation d’antidépresseurs augmente sans cesse dans les sociétés occidentales, et ce, surtout depuis les quinze dernières années, c’est-à-dire depuis l’introduction sur le marché des ISRS (inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine) et plus récemment des ISRSN (inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline). Ces antidépresseurs, dont on se plaît à vanter l’efficacité, causent peu d’effets secondaires et sont d’une toxicité limitée. Ils réunissent donc les conditions 1. Ce texte est issu d’une communication produite lors du 73e congrès de l’ACFAS en 2005. Le colloque s’intitulait : Méthodes psychosociales et techniques de mieux-être : entre thérapeutique et exigence fonctionnelle. 110 LE MÉDICAMENT AU CŒUR DE LA SOCIALITÉ CONTEMPORAINE nécessaires pour intégrer sans trop de heurts notre vie quotidienne. La«chronicisation» de l’usage de psychotropes, soit le fait d’y avoir recours sur une base régulière et sur une longue période, étant déjà observable chez certains groupes de la population (Collin et al., 2005), il apparaît pertinent de mener une réflexion sur l’éventail des usages que rendent désormais possibles ces antidépresseurs. Dans ce contexte, il ne faut pas se surprendre de voir réapparaître périodiquement dans les écrits scienti- fiques l’hypothèse d’un usage non thérapeutique de ces médicaments, qui semble être la voie toute désignée pour appréhender la hausse de leur recours. Il est devenu commun, sinon presque banal, de parler d’usage« cosmétique » de l’antidépresseur, où l’objet servirait plus à embellir, à enjoliver la personnalité qu’à soigner véritablement. Si cette expression a une connotation négative et très simpliste, il faut peut-être en chercher la raison derrière le fait qu’elle ait été popularisée par un best-seller américain (Kramer, 1993). Généralement, ce genre de formule plus provocante que bien fondée occulte la compréhension davantage qu’elle n’y contribue . Il suffit, pour en être convaincu, de remarquer que ce point de vue repose sur l’antinomie de la fonction thérapeutique et « cosmétique » de l’antidépresseur2. Reprendre cette thèse de l’usage cosmétique des antid épresseurs consiste à reconduire une analytique qui esquive des dimensions essentielles : en contestant l’existence et la complexité même de la dépression, elle nie littéralement la « valeur d’usage » du médicament, tout en s’empressant de retirer le jugement critique des différents intervenants gravitant dans la périphérie de ce médicament. Il semble essentiel d’admettre, dans un premier temps, que l’antid épresseur est un médicament, et non, comme cette perspective tente parfois de nous le faire croire, l’élément indispensable d’une trousse de maquillage. De surcroît, il n’est pas un médicament en vente libre ; il implique l’intervention du médecin auprès d’un « patient » qui, comme son nom l’indique, souffre. Bien que la relation thérapeutique se situe toujours dans un contexte spécifique où un thérapeute déploie une technique envers un être affecté, elle ne peut prétendre à un ailleurs qui lui permettrait de s’exclure du contexte global dans lequel elle évolue. En ce sens, elle est sujette, comme l’est toute autre relation sociale, à une critique . Une perspective critique de l’usage des antidépresseurs ne peut 2. « En complète opposition avec l’idée que la dépression serait une maladie complexe, dont la gestion exigerait des traitements non spécifiques, Peter Kramer, dans Prozac. Le bonheur sur ordonnance, tire argument de la sélectivité des IRSR pour soutenir que nous sommes à l’aube d’une ère où la psychopharmacologie sera cosmétique, remodelant les personnalités plutôt que traitant des maladies » (Healy, 2002, p. 263). [3.16.83.150] Project MUSE (2024-04-18 17:13 GMT) DE L’USAGE...

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