Les transferts massifs d'eau: Outils de développement ou instruments de pouvoir ?

Chapitre 14 : Le projet d'aqueduc Albanie-Italie

© 2005 – Presses de l’Université du Québec CHAPITRE LE PROJET D’AQUEDUC ALBANIE-ITALIE 14 Elona Arapi et Frédéric Lasserre 1. LES POUILLES: UNE RÉGION OÙ L’EAU SE FAIT RARE Le Mezzogiorno est inégalement doté par les précipitations : relativement abondantes en Campanie, en Calabre et dans l’ouest de la Basilicate (entre 600 et 1 400 mm/an), elles sont plus rares dans les Pouilles (460 mm/an), en faisant une des régions les plus sèches d’Italie. Dès la fin du XIXe siècle, la rareté relative en eau était perçue comme un frein au développement agricole, et le transfert des ressources des régions voisines des Pouilles fut projeté et entamé avec l’aqueduc du Sele (1905)1. En 1919, le canal principal de l’aqueduc des Pouilles était 1. Long de 200 km, il transportait 180 millions m3 depuis la Campanie voisine. Dipartimento della Protezione Civile (2003). « Acqua : un bene precioso », Rapporti di Attività, 23 septembre, , consulté le 13 janvier 2005. © 2005 – Presses de l’Université du Québec 302 Les transferts massifs d’eau achevé2, inaugurant une époque de grands travaux hydrauliques pendant la période fasciste mais aussi sous la République, depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. Ainsi, depuis 1950, au Mezzogiorno, la disponibilit é hydrique par habitant a été multipliée par 3,5, passant de 80 à 280 litres, essentiellement grâce à de grands travaux hydrauliques (barrages ) et à la mise en œuvre de transferts massifs d’eau, dont les aqueducs des Pouilles et de Campanie occidentale3. Les Pouilles affichent ainsi un taux d’équipement en aqueduc fort important, avec un indice de 109,3 contre 88,3 pour l’ensemble du Mezzogiorno (Italie = 100)4. Cette mobilisation majeure des ressources hydrauliques n’a pas empêché de forts gaspillages. Les réseaux de transport et de distribution d’eau présentent des taux de perte moyens de 27 % en Italie, et de 30,4 % au Mezzogiorno . Ce sont les transferts massifs qui ont été la solution retenue pour satisfaire une demande en eau en expansion constante, transferts depuis les régions voisines tout d’abord ; la demande ne cessant sa croissance, les ingénieurs ont envisagé de prélever de l’eau dans l’Albanie voisine, richement dotée de la ressource convoitée. En l’occurrence, outre les enjeux liés à l’approvisionnement en eau, ces projets italiens d’aqueducs de transfert depuis l’Albanie s’inscrivent dans le cadre d’une rivalité stratégique entre Grèce et Italie dans les Balkans. À l’heure actuelle, l’approvisionnement hydraulique des Pouilles représente un volume d’environ 570 millions de m3/année (Mm3/an), provenant pour 28 % d’eaux de surface, pour 50 % de réservoirs et pour 22 % d’eaux souterraines. Les principales sources d’approvisionnement des Pouilles sont extra-régionales (443 millions Mm3/an, dont 180 Mm3/ an de Campanie et 255 Mm3/an de la Basilicate5). À celles-ci il s’ajoute de forts prélèvements d’eaux souterraines (environ 90 000 puits recensés pour un prélèvement de plus de 127 Mm3/an). Les pertes d’eau en ligne sont considérables, tout au long des aqueducs principaux et du réseau de distribution qui s’étend sur plus de 18 000 km3. On estime ces pertes à 2. Acquedotto Pugliese, AQP, le plus grand d’Europe, dont le canal principal, long de 245 km, a été achevé en 1919. Pietro Celletti (1992) « Les grands transferts nationaux d’eau. L’expérience italienne », IIe Conférence méditerranéenne sur l’eau, Rome, 28 au 30 octobre 1992, , consulté le 29 mars 2005. 3. Green Cross Italia (s.d.) « A scuola di acqua. Le infrastrutture dell’acqua », , consulté le 27 janvier 2005. 4. SRM Associazione (2004). Infrastrutture e finanza locale in Puglia scenario, investimenti e politiche di sviluppo, struttura finanziaria dei comuni, mars, p. 23, , consulté le 30 mars 2005. 5. Dipartimento della protezione civile (2003). « Aqua : un bene preciozo », (Département de la protection civile, « L’eau : un bien précieux »), septembre, , consulté le 27 janvier 2005. Le projet d’aqueduc Albanie-Italie 303© 2005 – Presses de l’Université du Québec environ 92 Mm3/an (16 %), dues à l’ancienneté ou au mauvais entretien technique des réseaux, quoique plusieurs estiment que les pertes sont, en r...