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La chute d’Andersen. Un cas de délégitimation
- Presses de l'Université du Québec
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La chute d’Andersen Un cas de délégitimation Suzanne Beaulieu et Jean Pasquero La plupart des gens connaissent la saga Andersen et son dénouement, à savoir le démantèlement de la firme à la suite de son implication dans le scandale financier entourant l’affaire Enron. Toutefois, les raisons de la chute de ce géant demeurent obscures. Comment se fait-il qu’une firme de cette taille, et d’une notoriété si enviable, ait tout perdu aussi vite? On sait qu’au moment de sa chute, Arthur Andersen était l’un des cinq plus grands cabinets comptables des États-Unis. Comment se fait-il que ce soit toute l’entreprise qui ait payé et pas seulement le bureau de Houston, celui par qui le scandale est arrivé? Pourquoi, contrairement à des cas en apparence semblables dans le secteur financier, l’entreprise n’a-t-elle pas pu s’en tirer avec une amende et la promesse de faire preuve de plus de vigilance à l’avenir? Et enfin, pourquoi le prix payé par Andersen – l’entreprise a disparu – est-il tellement disproportionné par rapport à sa faute? Pour nous, la réponse à ces questions est que la déchéance de la firme est directement liée à la perte massive de sa légitimité organisationnelle. L’objet de cet article est de déconstruire les différentes facettes de ce phénomène. Rappelons que le devoir premier d’un vérificateur comptable est la protection du public. Andersen a créé et maintenu sa légitimité sur cette base. La légitimité d’une organisation est une ressource intangible qui lui permet l’accès à d’autres ressources. Elle se construit dans le temps, et l’organisation doit constamment veiller à son maintien et à son renouvellement. Si la légitimité de l’organisation est en péril, c’est l’organisation elle-même qui est en péril. Bien qu’extrême, le cas Andersen est un exemple concret de légitimité en péril. La firme a construit et nourri sa légitimité pendant près de 90 ans, ce qui lui a permis d’assurer une croissance continue, puis elle l’a perdue en moins de 90 jours. Malgré tous ses efforts pour contrer les effets négatifs de la crise, Andersen a dû finalement fermer ses portes. 128 Responsabilité sociale d’entreprise La littérature sur la légitimité organisationnelle s’est encore peu penchée sur les cas de perte de légitimité. Dans cet article, nous faisons l’autopsie du cas d’Andersen pour tirer des conclusions sur les causes et la nature des processus de délégitimation1. Nous analysons comment Andersen a été emportée, en suivant le rôle des parties prenantes dans sa chute. Nous fondons notre analyse sur un modèle de légitimité organisationnelle que nous avons élaboré dans des travaux antérieurs (Beaulieu et Pasquero, 2002, 2003). Ce modèle nous permet de suivre la perte graduelle de légitimité de la firme comptable, et de découvrir quels processus de déconstruction sont à l’œuvre. Nous montrons à quel point la gestion des intangibles est centrale dans le succès de certains types d’organisations. La gestion de la légitimité n’est pas un nouveau concept à la mode. Il s’agit bien d’une réalité trop longtemps ignorée. Notre article est structuré en six parties. La première partie présente un cadre conceptuel où sont définis les concepts de légitimité et de légitimation dont nous avons besoin pour mener l’analyse empirique. La deuxième introduit le cas Andersen alors que la troisième partie expose la méthodologie que nous avons suivie. La quatrième partie présente notre analyse et la cinquième fournit un modèle de délégitimation tirée de cette analyse. Enfin, la dernière partie présente nos conclusions sur la portée de notre étude. CADRE CONCEPTUEL Le concept de légitimité Le concept de légitimité organisationnelle est intégrateur. Il rassemble plusieurs notions relativement proches telles que la crédibilité, la confiance, la réputation, des termes qui sont liés à l’image corporative et aux perceptions des parties prenantes . Le concept comprend également les notions de compétence technique, de légalité et de responsabilité sociale. D’où vient la légitimité d’une organisation? Notre postulat de base est que la légitimité est conférée...