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C H A P I T R E 1Introduction à un constructivisme radical1 Ernst von Glasersfeld Université du Massachusetts evonglas@aol.com 1. E. von Glasersfeld (1988), « Introduction à un constructivisme radical », dans P. Watzlawick (dir.), L’invention de la réalité. Comment savons-nous ce que nous croyons savoir ? Paris, Seuil. Nous remercions les Éditions du Seuil, qui nous ont autorisés à adapter ce texte pour le présent ouvrage. Cette version du texte a été revue et amendée par le professeur von Glasersfeld. 12 Constructivisme – Choix contemporains [3.144.233.150] Project MUSE (2024-04-25 06:44 GMT) Introduction à un constructivisme radical 13 Les dieux ont la certitude, alors que pour nous, humains, seule la conjecture est possible. ALCMÉON2 On ne peut certainement pas, dans les limites d’un chapitre, justifier complètement un mode de pensée non conventionnel, mais il est peut-être possible d’en présenter les traits les plus caractéristiques, et de l’ancrer ici et là dans des points particuliers. Reste, bien sûr, le danger d’être mal compris. Mais aussi, dans le cas du constructivisme , il existe un risque supplémentaire : celui qu’il soit d’emblée rejeté parce que, comme le scepticisme – avec lequel il a des caractéristiques communes –, il peut sembler trop froid et trop critique, ou simplement incompatible avec le bon sens ordinaire. Généralement, les tenants d’une idée expliquent son refus autrement que ne le font les critiques et les opposants. Étant moi-même très engagé dans ce mode de pensée, je pense que la résistance rencontrée au XVIIIe siècle par Vico (1858), le premier vrai constructiviste, et par Ceccato (19641966 ) et Piaget (1937) dans un passé plus récent ne s’explique pas tellement par des inconsistances ou des failles dans leur argumentation, mais plutôt parce qu’on a soupçonné à juste titre le constructivisme de saper une trop grande partie de la conception traditionnelle du monde. En effet, il n’est pas nécessaire d’explorer très profondément la pensée constructiviste pour se rendre compte qu’elle mène inévitablement à l’affirmation que l’être humain – et l’être humain seulement – est responsable de sa pensée, de sa connaissance, et donc de ce qu’il fait. Aujourd’hui, alors que les béhavioristes sont encore résolus à rejeter toute responsabilité sur l’environnement, et que les sociologistes essaient d’en placer une bonne partie dans les gènes, une doctrine peut en effet paraître inconfortable si elle avance que nous n’avons personne d’autre à remercier que nous-mêmes pour le monde dans lequel nous pensons vivre. Et c’est précisément ce que le constructivisme se propose d’affirmer – mais il affirme bien plus encore : nous construisons la plus grande partie de ce monde inconsciemment, sans nous en rendre compte, simplement parce que nous ne savons pas 2. Citation extraite de Ancilla to the Pre-Socratic Philosophers (Freeman, 1948, p. 40). Il s’agit d’une traduction du travail de Diels qui, en allemand, utilise le mot erschliessen : mis à part « inférer » et « conjecturer », il signifie aussi« ouvrir ». D’où mon usage de la métaphore de la clé. 14 Constructivisme – Choix contemporains comment nous le faisons. Mais cette ignorance n’est pas du tout nécessaire : le constructivisme radical affirme en effet – comme Kant dans sa Critique – qu’on peut étudier les opérations au moyen desquelles nous constituons notre expérience du monde, et que la conscience d’effectuer ces opérations (ce que Ceccato [1964-1966] a si joliment appelé, en italien, consapevolezza operativa3 ) peut nous aider à le faire différemment, et peut-être mieux. Cette introduction, je le répète, se limitera à exposer quelques aspects. La première partie traite de la relation entre la connaissance et cette réalité « absolue », censée exister indépendamment de toute expérience : j’essaierai ici de montrer qu’on ne peut jamais considérer notre connaissance comme une image ou une représentation de ce monde réel, mais seulement comme une clé qui nous ouvre des voies possibles. La seconde partie expose dans ses grandes lignes les débuts du scepticisme et la pensée de Kant (1985) selon laquelle, étant donné les manières dont nous faisons l’expérience du réel, nous ne pouvons en aucun cas concevoir un monde indépendant de notre...

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