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Chapitre 12_Reconvertir autrement : LA CONTRIBUTION DES FRICHES CULTURELLES
- Presses de l'Université du Québec
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Reconversion économique et développement territorial CHAPITRE RECONVERTIR AUTREMENT LA CONTRIBUTION DES FRICHES CULTURELLES Xavier Greffe1 12 Lorsque les Naskapis du1Labrador cherchent de quel côté ils iront chasser , ils ne partent pas, comme on pourrait s’y attendr e, de l’expérience de la veille, allant cher cher le gibier là où ils viennent de le tr ouver. Ils introduisent un élément aléatoire, lié ici à la manière dont le vent oriente les cendres du feu sur un os de caribou. Ce faisant, ils r enoncent sciemment à explorer une piste déjà connue ou une rationalité informationnelle de court terme qui peut les conduir e ici à l’épuisement du gibier et dans l’impasse. Ils préfèrent introduire une rupture qui se révèlera pertinente à long terme. Le développement local est à l’image de ce comportement dans la mesure où les initiatives les plus porteuses sont souvent les plus inattendues . Ainsi, le thème des activités cultur elles devient-il de plus en plus présent et les discours sur les nouvelles activités susceptibles de r elever le contenu en emploi et de la cr oissance y font référ ence, tant au plan 1. xavier.greffe@univ-paris1.fr 242 Reconversion économique et développement territorial Reconversion économique et développement territorial global que local. Il existe deux manièr es de considérer le rapport entr e les activités artistiques et cultur elles et le développement économique et social. La version la plus courante consiste à dir e que ces activités créeront les emplois détr uits par la pr oductivité et la compétition. L ’argument est pertinent, mais il est loin de constituer une solution, comme en témoignent les ambiguïtés qui pèsent aujour d’hui sur le tourisme dit«culturel». Une version plus incisive nous semble êtr e la suivante : en développant des activités artistiques, activités de création qui r emettent en cause les référ ences acquises pour en pr oduire de nouvelles, on peut diffuser sur un territoir e des capacités de réflexion, de création et de projet qui dépasseront le seul secteur des activités artistiques. Pour des territoires en crise de reconversion et à la recherche d’activités nouvelles, les activités artistiques et cultur elles offrent un potentiel qui peut aller au-delà du sempiternel discours sur la réhabilitation du patrimoine local. La reconversion de friches industrielles en friches cultur elles en témoigne : réhabilitation de l’espace bâti, amélioration du cadr e de vie, développement de l’artisanat d’art ou de pr ogrammes audiovisuels en constituent les résultats les plus fréquemment attendus. Ces friches per mettent aussi aux groupes et communautés locales de r econstruire leurs identités, de s’inscrire dans une culture de création et de pr ojet dont les retombées se feront alors sentir dans la totalité de la ville. La friche se définit comme un terrain anciennement utilisé par l’industrie, le commer ce ou l’armée, tellement dégradé par son usage antérieur qu’il ne peut plus êtr e utilisé sans transformation et nettoyage. La multiplication des espaces industriels, mar chands et militaires désaffect és et abandonnés par toute activité a créé, au cœur même des villes, des espaces vides, témoins d’une époque révolue.Au départ, les militants d’un renouveau de la vie cultur elle et associative ont entendu r elever le défi que posaient ces espaces urbains délaissés et ont investi ces lieux. Ce mouvement a pris naissance à la fin des années 1970, parallèlement au développement de la contr e-culture, des actions des squatteurs et de la prise de conscience d’un décalage entr e les aspirations des nouvelles générations d’artistes et les publics. Cela allait de pair avec une r evendication de démocratisation de la culture et une remise en question du rôle de l’artiste dans la Cité. Peu à peu, les initiateurs des friches ont entendu transformer les territoires environnants et leur donner un rôle d’insertion et de qualification dont les activités artistiques constituaient un moyen autant qu’une finalité. La friche pr oduit alors un nouveau territoir e urbain. Parallèlement, les politiques de la...