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© 2001 Presses de l’Université du Québec CHAPITRE 4 LE CONFLIT ART ET POLITIQUE LA SOLUTION PLATONICIENNE Jean-Philippe Uzel Aujourd’hui l’art et plus largement l’esthétique sont de plus en plus présents dans la réflexion politique1 . À l’inverse, la politique et le politique2 envahissent de toutes parts la création contemporaine. Marc Jimenez, qui déclarait récemment que « la question des relations entre l’art et la politique, si cruciale encore dans les années 1970, paraît aujourd’hui bien désuète3», ne semble pas être au fait des développements de l’art contemporain depuis une dizaine d’années. Où que l’on regarde, du côté de la théorie aussi bien que de la pratique artistiques, les questions politiques et sociales occupent le devant de la scène. Les artistes des années 1990 renouent avec l’esprit contestataire des années 1960 et 1970. L’activisme culturel qui avait accompagné l’émergence de la nouvelle gauche connaît une nouvelle actualité. De plus en plus d’artistes interviennent dans les débats de société : l’éducation, la reconnaissance des minorités, l’urbanisme, le sida4 … De nombreuses 1. Comme en témoignent quelques titres, plus ou moins récents, signés par des politologues : Luc Ferry, Homo Aestheticus, Paris, Grasset, 1990 ; Timothy W. Luke, Shows of force : Power, Politics, and Ideology in Art Exhibitions, Durham (London), Duke University Press, 1992 ; Jean-Jacques Gleizal, L’Art et le politique, Paris, Presses universitaires de France, 1994 ; Murray Edelman, From Art to Politics : How Artistic Creations Shape Political Conceptions, Chicago, The University of Chicago Press, 1995. 2. Sur cette différence désormais classique entre la politique et le politique, nous renvoyons le lecteur à l’introduction de l’ouvrage de Christian Meier, La naissance du politique, trad. D. Trierweiler, Paris, Gallimard, 1995. 3. Marc Jimenez, Qu’est-ce que l’esthétique ?, Paris, Gallimard, 1997, p. 398. 4. Deux ouvrages qui accompagnaient les expositions de Group Material et de Martha Rosler à la Dia Art Foundation illustrent bien ce nouvel engagement des artistes contemporains: Brian Wallis (dir.), Democracy: A project by Group Material, Seattle, Bay Press, 1990 et Brian Wallis (dir.), If you lived here, Seattle, Bay Press, 1990. Sur cette question, on peut également se référer à l’article très éclairant de Martha Rosler : « Place, Position, Power, Politics », dans The Subversive Imagination, New York/London, Routledge, 1994, p. 55-76. 46 La politique par le détour de l’art, de l’éthique et de la philosophie© 2001 Presses de l’Université du Québec expositions sont consacrées à cette « politisation » de l’art5 . De même, plusieurs esthéticiens, historiens d’art et critiques d’art commentent, que ce soit pour le déplorer ou pour l’encourager, ce rapprochement entre les sphères politique et artistique6 . Ce rapprochement de l’art et de la politique, de l’esthétique et du politique, ne va pas cependant sans poser plusieurs problèmes. L’art« engagé » est-il autre chose qu’un art du contenu qui délaisse la forme et ressemble de plus en plus à un document7 ? L’engagement politique des artistes ne cache-t-il pas un vide des critères esthétiques8 ? L’art a-t-il réellement un effet politique ou faut-il douter, avec Adorno, « que les œuvres d’art interviennent effectivement dans la politique » et accepter que « lorsque cela se produit, c’est le plus souvent de façon périphérique et lorsqu’elles s’y efforcent, elles régressent généralement par rapport à leur concept9» ? En un mot, comment la jonction entre art et politique se fait-elle ? Une grande part des confusions entourant cette question vient du fait qu’on a toujours tendance à attribuer à l’œuvre une fonction politique intrinsèque. Or, il faut bien se rendre à l’évidence : aucune œuvre n’est chargée d’une force politique inhérente tout simplement parce qu’aucune œuvre d’art ne possède une particularité essentielle par rapport aux autres objets humains. Une œuvre d’art, comme nous le rappelle Gérard Genette, est un objet à « fonction esthétique10», c’est-à-dire qui a été réalisé avec l’intention de produire chez le spectateur un effet esthétique. Si l’on admet cette définition, il faut alors reconnaître que notre satisfaction à l’égard d’une œuvre ne provient pas de l’objet...

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