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Plein emploi, régimes d'emploi et marchés transitionnels: une approche comparative
- Presses de l'Université du Québec
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Plein emploi, régimes d’emploi et marchés transitionnels : une approche comparative Bernard Gazier1 INTRODUCTION Le défi du chômage de masse qui frappe de nombreux pays de l’OCDE est en fait double : il s’agit bien sûr de rendre compte de cette situation et de proposer des voies d’amélioration, mais le diagnostic comme les propositions doivent faire sens aussi bien pour ces économies en sous-emploi durable que pour les économies qui sont proches du plein emploi, notamment les USA. En fait, toute argumentation qui ne s’intéresserait pas simultanément aux bonnes performances en matière d’emploi (au moins en apparence) de pays à forte logique de marché, comme les USA et le Royaume-Uni, et aux performances singulièrement variées des pays européens plus proches de la social-démocratie (bonnes pour les Pays-Bas, mauvaises pour la France depuis longtemps et désormais pour la Suède et l’Allemagne) serait aisément disqualifiée. Comme le rappelle de surcroît Piketty (Piketty, 1997), le partage de la valeur ajoutée aux USA et au RU, pays marqués par le capitalisme libéral et les options de Reagan et de Thatcher, est singulièrement plus favorable au travail qu’en France à l’issue de 14 années de présidence socialiste : la raison de ce paradoxe est simplement les dynamiques de création d’emplois dans ces pays qui déplacent ce partage en faveur des revenus du travail. Les prescriptions de type dérégulation du marché du travail ou accroissement de la flexibilité salariale n’ont cependant pas conquis de base démonstrative convaincante, comme en témoignent des travaux aussi divers que ceux coordonnés par Blank (Blank, 1994), ou signés par Ehrenberg (1994), Fougère et Kramarz 1. Professeur, Université de Paris I et MÉTIS, France. 58 Objectif plein emploi (1997), Schettkat (1997). Nous demeurons dans une situation où les complexités du marché du travail sont largement reconnues, qu’elles découlent du jeu d’institutions telles que les relations syndicales, la protection sociale, l’appareil de formation, ou d’influences multiples telles que l’orientation générale de la croissance , les capacités innovatrices ou entrepreneuriales. Mais ces interactions restent sans explication générale pleinement développée. Il en résulte que les efforts d’analyse comparative demeurent essentiels, qu’ils précisent des contraintes, des marges de manœuvre ou des trajectoires sociétales ou cherchent à évaluer l’efficacité différentielle de telle ou telle mesure dans un cadre donné. Cette contribution entend présenter, dans un cadre comparatif, le type de diagnostic et de propositions qui découlent de la perspective récente des« marchés transitionnels ». Avancée d’abord par l’économiste berlinois Gunther Schmid (voir notamment Schmid, 1995a), elle correspond à une réforme profonde du marché du travail aménageant de manière systématique et négociée les positions intermédiaires entre l’emploi salarié et un large groupe d’activités socialement utiles. Ces actions de restructuration et de dynamisation du marché du travail sont, dans l’esprit de leurs promoteurs, complémentaires d’efforts pour relancer la croissance et d’une politique de réduction de la norme de temps de travail hebdomadaire à 30 heures pour les hommes comme pour les femmes. Au départ, la logique est essentiellement pragmatique : il s’agit de rationaliser les développements des politiques de l’emploi menées par les firmes et les pouvoirs publics notamment en Europe. Mais on peut considérer qu’il s’agit, bien plus ambitieusement, d’une nouvelle idée régulatrice devant se substituer à l’idée du plein emploi traditionnel. Les « marchés transitionnels » correspondent aujourd’hui plus à un programme de recherche et d’action qu’à un ensemble d’apports théoriques et empiriques intégrés. Financées par la CEE, une série de recherches coordonnées sont en train d’être conduites sous l’intitulé du programme « Translam » (1996-1998), dans le cadre des budgets consacrés à la recherche socio-économique finalisée.« Translam » est coordonné par le WZB Berlin (auquel appartient G. Schmid) et rassemble une dizaine d’équipes d’économistes et sociologues européens (pour la France, deux équipes du CNRS : le METIS, auquel appartient l’auteur ce cette contribution, et le LES). Quatre modules sont prévus, dont l’un est à visée théorique et...