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Conclusion
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175 CONCLUSION En 1993, Chapdelaine (1993a : 24) jetait les bases du concept de transhumance chez les Iroquoiens de la province de Canada. Son objectif consistait à «démontrer l’exploitation saisonnière par un même segment important d’une communauté comprenant des hommes, des femmes et des enfants, et non par un petit groupe spécialisé de quelques hommes, de deux zones écologiques distinctes, à savoir les ressources agricoles, terrestres et aquatiques des basses terres du Saint-Laurent et les mammifères marins, les poissons, les oiseaux et les mollusques de l’estuaire». Les données tirées de six sites archéologiques situés sur la rive nord du Saint-Laurent, à la hauteur du secteur de l’embouchure du Saguenay, ont permis de nuancer cette proposition et d’apporter un nouvel éclairage sur l’économie des Iroquoiens de la province de Canada. Nous avons proposé que les déplacements de familles entières se produisaient probablement au cours de la saison chaude, soit de la mi-mai à septembre, lors de la mise bas et de la mue des phoques commun et gris, mais que cette mouvance estivale était précédée par de brèves et intenses excursions de contingents masculins venus profiter de l’abondance du phoque du Groenland, dès la fonte des glaces en mars. À partir des caractéristiques propres à chacun des sites étudiés, des restes fauniques et du matériel céramique,lithique et osseux,nous avons constaté que les installations des chasseurs printaniers (sites Cap-de-Bon-Désir et des Basques-de-l’Anse-à-la-Cave surtout) étaient caractérisées par de petits foyers aménagés directement sur le sol encore gelé et ne comportant pas de structures de pierres, ce qui suggère des habitations circulaires autour desquelles les phoques ramenés en entier étaient dépecés.Les sites où l’on reconnaît davantage des occupations estivales,mais également printanières (Ouellet,Pointe-à-Crapaud,Anse-aux-Pilotes IV et Escoumins I) ont révélé une densité plus importante de matériel ainsi qu’une architecture domestique mieux structurée,comportant des fosses et des zones de rejets culinaires attenantes aux zones de combustion.On y a également constaté la fabrication de poterie,ce qui suggère des séjours étalés sur plusieurs semaines et la présence d’enfants sur les deux premiers sites. Quant aux sources de matières premières transformées,nous y avons vu une nette préférence pour des cherts appalachiens et des quartz d’origine locale, de même qu’un recours occasionnel aux quartzites fins du Bouclier canadien. Dans tous les cas, les phoques furent probablement abattus à bout portant,soit avec des haches en pierre façonnées sur place à l’aide de percuteurs de pierre, au gourdin ou à l’arc, ce qui évitait de périlleux déplacements au large.Les quelques harpons en os découverts sur les campements (tout comme ceux recueillis dans les villages agricoles) auraient peut-être davantage servi à la capture de poissons dont la consommation fut révélée, faute de restes osseux, presque uniquement à travers l’analyse des croûtes carbonisées adhérant aux parois des vases. Le phoque, et dans une moindre mesure le béluga, représentaient alors pour les Iroquoiens de la région de Québec une ressource abondante et prévisible. Cela pourrait expliquer en bonne partie pourquoi cette population a adopté très tardivement l’agriculture,soit certainement après 1300. Lorsque le maïs fut intégré à la subsistance, la chasse au phoque et l’horticulture furent encore possibles alors que l’intermède entre les deux déplacements 176 CONCLUSION dans l’estuaire, de la mi-mai à la fin de juin par exemple, aurait permis l’ensemencement et une croissance minimale des épis de maïs ou d’autres cultigènes qui pouvaient être laissés à pousser librement tout l’été, puis récoltés dès le retour de l’estuaire. Les sous-produits du phoque pouvaient d’ailleurs constituer non seulement une réserve alimentaire pour l’hiver suivant et une source de matières premières,mais aussi une monnaie d’échange pour obtenir des cultigènes des mains des cousins iroquoiens vivant en amont de Stadaconé. Si la céramique utilisée ne permet pas, à ce stade de la recherche, d’appuyer l’existence d’une province culturelle autonome (province de Canada), il en va autrement...