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Médée, c’est l’histoire d’une femme qui trahit sa famille et son pays. C’est l’histoire d’une magicienne et d’une exilée. C’est l’histoire d’une mère infanticide. Endeuillée, sacrale, extrêmement violente, Médée compte parmi les plus abominables personnages de la mythologie grecque, coupable, entre autres, de fratricide et d’infanticide. Ayant assuré la gloire de Jason et des Argonautes à la poursuite de la Toison d’or qu’elle dérobe à sa Colchide natale, Médée devient migrante et étrangère parmi les Grecs, mais elle est par la suite abandonnée par Jason qui désire se remarier avec la fille du roi Créon2 . Ce dernier bannit Médée et ses enfants, qui – désormais apolis et sans abri, victimes certaines de la rancœur des Corinthiens dont le roi et sa fille ont été empoisonnés par Médée – font face à un exil à la fois intolérable et funeste. Médée assure donc elle-même la tâche infâme de leur donner la mort : Puisqu’à tout prix il faut qu’ils meurent, c’est moi qui vais les tuer, moi qui leur ai donné la vie (Euripide 1063-64)3 . 2. Cet état et royaume de l’ancienne géographie correspond aujourd’hui à la Géorgie, au nord-est de la Turquie et à la côte Est de la mer Noire. 3. Pour ce qui concerne les citations tirées de la tragédie d’Euripide, les nombres entre parenthèses renvoient aux vers (et non à la pagination, commedans les parenthèses référentielles pour tous les autres textes cités.) Introduction L’émergence d’un mythe Médée protéiforme 14 Réaction certes extrême au mépris et à l’exclusion que manifesteàsonégardlasociétécorinthienne,tellequeladépeint le dramaturge Euripide au Ve siècle athénien – ni le premier ni le dernier à adapter l’ancienne légende. Mauvaise mère par excellence, «barbare» d’origine, furieusement dissidente, sorcière, guérisseuse, Médée a fait bonne et surtout mauvaise figure à travers les siècles, ayant mis en évidence la violence et le sacrifice des innocents commis (par elle ou par d’autres) dans le sillage de l’oppression. Dans la littérature féminine actuelle, les récits d’infanticide ne se veulent ni rares ni uniformes. Depuis les quatre dernières décennies, le mythe antique grec de l’infanticide Médée s’avère précisément un intertexte – avoué ouvertement ou évoqué en filigrane –, dans des œuvres d’auteures de divers horizons culturels et géographiques , dont la France, l’Italie, le Canada, les États-Unis, l’Allemagne, le Québec et l’Afrique. On aura même parlé d’une« Medea Renaissance » dans la littérature contemporaine (Stephan 131), que l’on pourrait appliquer notamment à celle des femmes. Dans cette littérature, c’est à l’instar de la version euripidienne que les questions de maternité, de couple et d’infanticide rejoignent celles de l’exil et des rapports de force reliés à la race, au sexe et au rang social. Ces rapports se déploient dans l’intrigue des œuvres au féminin, leurs procédés d’écriture et de réécriture et les modalités d’une Médée foncièrement protéiforme dans ses divers contextes culturels et contemporains. Traditionnellement, Médée est une figure antithétique étant donné l’envie et la frayeur qu’elle suscite. En tant que sujet ontologique, elle se présente comme une figure d’autant plus antinomique dans ses rapports oscillatoires avec son propre mythe. Elle est certainement pertinente aux représentations courantes et souvent contradictoires de la femme foisonnant dans les médias et la vie publique actuelle et dans les nouvelles perspectives littéraires cernées par cette étude. Nous prenons [3.145.115.195] Project MUSE (2024-04-25 10:21 GMT) Introduction 15 pour objet l’émergence contemporaine et transculturelle de la figure médéenne dans ses divers états culturels, sociaux et politiques – étalés dans La Médée d’Euripide de Marie Cardinal, No More Medea de Deborah Porter, La Medea de Franca Rame et Dario Fo, The Hungry Woman: A Mexican Medea de Cherríe Moraga, New Medea de Monique Bosco, Médée : voix de Christa Wolf, Petroleum de Bessora et Le livre d’Emma...

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