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I Ô Mort, vieux capitaine 7 Robbe-Grillet à Ouessant : le phare et la matrice ROGER-MICHEL ALLEMAND Université du Sud-Toulon-Var (France) L orsque nous avons eu l’idée de ce colloque, Christian Milat et moi, et quand nous est venu son titre, «Alain Robbe-Grillet: balises pour le XXIe siècle», il nous est vite apparu comme une évidence de faire référence d’une manière ou d’une autre au portrait réalisé par Frédéric Compain1. Que celui-ci trouve donc ici l’expression de notre chaleureuse gratitude pour avoir autorisé la projection de son film au cours du colloque. Nos remerciements vont également à Xavier Carniaux pour avoir accepté qu’une partie en fût désormais diffusée sur notre site2, ainsi qu’à Jean Minondo, preneur de son du documentaire, puis sur le tournage de C’est Gradiva qui vous appelle, pour nous avoir confié ses archives du tournage à Ouessant, en décembre 1998. C’est de ces archives que provient la belle photographie qui figurait sur les affiches et les programmes du colloque et qui est reproduite en couverture du volume. Si j’ai voulu saluer ici le portrait que Frédéric Compain a réalisé, c’est que, plus j’y pense, plus je suis persuadé que, mine de rien, Alain RobbeGrillet s’y est tout bonnement fait piéger. Le dispositif opère en huit prises, réparties en quatre séquences, correspondant chacune à un espace défini. Au Mesnil-au-grain. Scène d’intérieur, au rez-de-chaussée de la demeure, dans le couloir latéral gauche qui part de l’entrée. Robbe-Grillet constate :«Ah, ben il remonte... Il remonte vachement, le baromètre... Peut-être qu’on va pouvoir aller à Ouessant quand même... » (8’20) – ce qui implique que le projet de voyage était déjà décidé. Plus tard, à l’extérieur de la demeure, le réalisateur demande: «Pourquoi vous tenez tellement à aller à Ouessant?» 51 Robbe-Grillet 11c qx 10/15/10 1:50 PM Page 51 Pris de court, Alain répond par une grimace et une sorte de ricanement gêné (24’10-24’16). Arrêt sur image. Dans le train en direction de Brest. Une fois installé, Robbe-Grillet annonce : « On va à Ouessant ! » (24’45) Au cours de l’entretien qui suit, l’écrivain cite l’incipit de Dans le labyrinthe, évoque le froid, la pluie et le vent, puis complète par une apparente digression: «On va voir ça à Ouessant [...].» (29’05) Compain réitère sa question sur la motivation du déplacement. La réponse, calquée dudit incipit, est cette fois de l’ordre de la pirouette :«Parce que vous avez pris des billets pour. Sans ça, moi, vous savez, j’étais bien tranquille chez moi, seul, là-bas, hier, bien à l’abri...» (29’05-29’18) Et là, je m’étonne: s’il est une question que Robbe-Grillet détestait qu’on lui posât, c’était «Pourquoi?», surtout avec insistance. En temps normal, il eût déjà envoyé paître son interlocuteur. Sur le port de Brest. Avant l’embarquement, après une formule que RobbeGrillet citait volontiers3, Compain s’interroge en voix off: «Mais alors pourquoi aller à Ouessant pour de vrai ? » Et Alain de répondre, face caméra, par le dicton breton: «Qui voit Ouessant voit son sang.», en agrémentant ces mots d’une mimique suggestive (36’32-36’52). Second arrêt sur image. Avant un retour aux sources du Voyeur, l’écrivain établissant lui-même, quelque trois ans plus tard, un parallèle entre la traversée de Mathias et la desserte vers Enez Eusa (le nom breton de l’île): «C’est un peu comme pour aller à Ouessant : on prend le bateau le matin, on passe la journée dans l’île, et on a un bateau le soir pour rentrer.» (Pré: 56)? Sur l’île d’Ouessant. Dans la voiture qui les mène à l’extrémité ouest, vers le phare du Creac’h – c’est-à-dire «du promontoire » –, ce «phare trapu à bandes noires et blanches » (V : 12) qui marque la limite entre la Manche et l’Atlantique, l’écrivain commence à évoquer l’importance que ses parents ont eue dans sa vie, mais le réalisateur l’interrompt pour lui demander en quoi cela peut intéresser les lecteurs. Robbe-Grillet finit par s’agacer, gentiment : «Mais je...

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