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Voir Berlin et écrire Images de ruines dans Le Jardin des Plantes de Claude Simon et La Reprise d’Alain Robbe-Grillet CÉCILE YAPAUDJIAN-LABAT IUFM d’Orléans-Tours (France) A llemagne année Zéro. En 1948, Roberto Rossellini filme, dans un Berlin dévasté, le destin tragique d’un enfant et de sa famille anéantis par la guerre. Ce film, poignant par l’histoire qu’il nous raconte, fascine aussi par le spectacle effroyable et grandiose des ruines qu’il donne à voir. Le réalisateur s’arrêtait ainsi, le premier, sur l’apparition physique d’un monde défait et ouvrait la voie à un art d’après-guerre. Dans Le Jardin des Plantes de Claude Simon et La Reprise d’Alain Robbe-Grillet, resurgissent ces images de ruines (déjà très présentes, il est vrai, dans les Romanesques, sans parler de Construction d’un temple en ruine à la déesse Vanadé). Elles constituent le cadre général du roman de Robbe-Grillet mais n’apparaissent que dans deux fragments du Jardin des Plantes147. Toutefois, le motif parcourt le texte de Simon148. En décrivant ces décombres, au tournant du XXIe siècle, à l’heure où l’Europe continue de se construire sur ces vestiges, les deux écrivains renvoient à un moment de l’Histoire, à la faillite des certaines de ses valeurs, moment qui correspond à celui où les deux hommes ont commencé à écrire149. À cinquante ans de distance, mêlant éléments historiques, autobiographiques, fictionnels, autotextuels, chacun s’interroge aussi, dans et par le roman, sur les conditions et la manière dont un sujet et une écriture peuvent émerger des décombres. En effet, les ruines apparaissent paradoxalement comme de puissants stimuli pour la création de nouvelles images, à partir desquelles s’esquisse un véritable art poétique. Ainsi, nous nous proposons d’explorer dans les deux ouvrages cette tension entre destruction et construction qui traverse l’Histoire, le sujet et l’écriture, en nous demandant ce qui peut rapprocher ou distinguer les deux compagnons de route que furent Simon et Robbe-Grillet. Le vieux monde n’est plus - le roman est tout simplement Dans les deux romans est décrite une même place en ruines, «la plus belle place de Berlin» (Rep : 26) selon Kierkegaard: celle des Gens d’armes, Gendarmenmarkt. Or, sur ce lieu, symboles d’une cohabitation harmonieuse, se dressaient150 deux églises presque jumelles, celle des Allemands et celle ALAIN ROBBE-GRILLET – BALISES POUR LE XXIE SIÈCLE 424 des Français, cette dernière ayant été construite pour offrir un lieu de culte aux Huguenots réfugiés à Berlin après la révocation de l’Édit de Nantes. Décrire ces ruines, n’est-ce pas déjà montrer qu’après la Seconde Guerre mondiale, la vieille Europe et ses valeurs sont mortes et, avec elles, une certaine conception du roman? Le Jardin des Plantes revient sur les causes de cette ruine en dénonçant les valeurs d’une société qui, loin d’avoir pu empêcher les abominations de la guerre, y a même participé. Ces valeurs sont celles de l’humanisme, fondant le bonheur et le progrès de l’humanité sur la culture, faisant de l’homme luim ême une valeur. Pourtant, dans le roman, l’homme apparaît plutôt comme la victime d’un humanisme dévoyé, en particulier à travers la figure du peintre Gastone Novelli, confronté à « une civilisation capable d’engendrer des philosophes aussi bien que des bourreaux comme ceux qui l’avaient torturé à Dachau»151. Il tentera, après la guerre, de se reconstruire en quittant cette civilisation, ne supportant plus « le contact ou la vue non seulement d’un Allemand mais de n’importe quel être, femme ou homme, dit civilisé»152, pour vivre quelque temps avec une peuplade d’Amazonie et repartir de«l’heure zéro»153. Dans la description des ruines de Berlin-Est, on ne peut s’empêcher de voir aussi – le roman date de 1997, après la chute du mur – la mort d’une autre grande croyance du XXe siècle, le projet marxiste. Or, le traitement subi par Joseph Brodski, poète russe et prix Nobel de littérature, apporte un démenti à cette croyance. Esprit indépendant, parce qu’il écrit des poèmes, Brodski est en effet condamné aux travaux forcés sous le régime soviétique pour «activit és antisociales...

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